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efforts vains en apparence ; mais, tant que cela ne peut être rendu absolument certain , je ne puis convertir le devoir (c’est-a-dire quelque chose de liquidum) en cette règle de prudence qui me détournerait de travailler à une chose impraticable (ce qui est quelque chose d'illiquidum, car c‘est la une pure hypothèse) ; et, si incertain que je puisse toujours être et rester sur la question de savoir s’il y a un mieux à espérer pour l’espèce humaine, cela ne peut nuire en rien à la maxime et par conséquent à la supposition qu’elle entraîne nécessairement au point de vue pratique, à savoir que ce mieux est possible.

Cette espérance de temps meilleurs , sans laquelle un sérieux désir de faire quelque chose d’avantageux pour le bien général n’aurait jamais échauffé le cœur de l’homme, a toujours eu de l’influence sur les travaux des esprits bien faits, et le bon Mendelssohn aurait du y rapporter l’ardeur avec laquelle il a travaillé à l'instruction et à la postérité de la nation à laquelle il appartient. Car d’y travailler lui seul, sans que d’antres apres lui pussent aller plus loin dans la méme voie, c’est ce qu’il ne pouvait raisonnablement espérer. Au milieu du triste spectacle des maux que des causes naturelles répandent sur l’espèoe humaine, et surtout de ceux que les hommes se font les uns aux autres, l’âme est rassérénée par l’espoir d’un meilleur avenir; pourtant cet espoir est bien désintéressé de notre part, car nous serons alors depuis longtemps dans la tombe et nous ne récolterons pas les fruits que nous aurons en partie semés nous-mêmes. Les arguments empiriques que l’on peut élever contre le succès des desseins que l'espérance fait entreprendre ne prouvent rien ici. Car de ce qu‘une chose n’a pas réussi jusque—là, on ne peut en conclure qu’elle ne réussira jamais, et l’on n’est pas fondé pour cela à renoncer à un but pragmatique ou technique (comme par exemple de se diriger dans l’air au moyen des aérostats), encore moins à un but moral, qui est un devoir tant qu’on ne peut démontrer l’impossibilité de l'atteindre. D’ailleurs il y a maintes raisons de croire que l’espèce humaine, en somme`, a réellement fait dans notre siècle, en comparaison même de tous les précédents, de remarquables progrès dans la voie du bien moral (de courts moments d’arrêt ne prouvent rien contre cela) ; et les plaintes que l’on fait entendre sur la décadence sans cesse croissante de l’espèce humaine viennent jus-