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philosophique (peccatum philosophicum, peccatillum, bagatelle), qui consiste à regarder comme une peccadille très pardonnable l’absorption d’un petit État par un plus grand, qui prétend agir en cela pour le plus grand bien du monde[1].

La duplicité de la politique qui accommode la morale à sa guise fournit le prétexte dont on a besoin pour tourner à ses fins l’une ou l’autre de ces sortes de maximes. — L’amour des hommes et le respect de leurs droits sont également un devoir ; mais le premier devoir n’est que conditionnel, tandis que le second est inconditionnel, c’est-à-dire est un commandement absolu, qu’il faut d’abord être parfaitement sûr de ne pas transgresser, pour pouvoir se livrer au doux sentiment de la bienfaisance. La politique s’accorde aisément avec la morale dans le premier sens (dans le sens de l’éthique), pour livrer les droits des hommes à leurs supérieurs. Mais, quant à la morale entendue dans le second sens (comme doctrine du droit), au lieu de fléchir le genou devant elle comme elle le devrait, elle trouve plus commode de ne pas chercher à s’entendre avec elle, de lui refuser toute réalité et de réduire tous les devoirs à la pure bienveillance. Or cet artifice d’une politique ténébreuse serait bientôt démasqué par la publicité que la philosophie donnerait à ses maximes, si elle osait permettre aux philosophes de publier leurs principes.

Dans cette vue je propose ici un autre principe transcendental et affirmatif du droit public, dont la formule serait :

« Toutes les maximes qui ont besoin de publicité (pour ne pas manquer leur but) s’accordent avec le droit et la politique ensemble. »

En effet, si elles ne peuvent atteindre leur but que par la publicité, elles doivent être conformes au but général du public (au bonheur), avec lequel le problème propre de la politique consiste à se mettre en harmonie (de telle sorte que chacun soit content de son état). Mais, si l’on ne peut atteindre ce

  1. On trouvera des exemples de l’application de toutes ces maximes dans la dissertation de M. le conseiller Garve (sur l’Union de la morale avec la politique, 1788). Ce digne savant avoue presque dès le début ne pouvoir donner une solution satisfaisante à cette question. Mais déclarer bonne cette union et en même temps avouer qu’on ne peut lever entièrement les objections qu’elle soulève, n’est-ce pas accorder une trop grande facilité à ceux qui sont très disposés à en abuser ?