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des principes de liberté, et que c’est là seulement ce qui peut rendre justement durable une constitution politique. C’est à tort que l’homme soi-disant pratique croit pouvoir résoudre ce problème en négligeant cette idée et en demandant à l’expérience ce qu’ont été les meilleures constitutions qui ont existé jusque-là, quoique la plupart du temps elles aient violé le droit. — Les maximes dont il se sert dans ce dessein (sans cependant les avouer tout haut) peuvent se ramener aux sophismes suivants :

1. Fac et excusa. Saisis l’occasion favorable de prendre arbitrairement possession (d’un droit sur le peuple dont tu gouvernes l’État ou sur un État voisin) ; après l’action, la justification pourra se faire avec bien plus de facilité et d’élégance, et il sera bien plus aisé de pallier la violence (surtout dans le premier cas, où le pouvoir suprême est en même temps le souverain législateur, auquel il faut obéir sans raisonner), que si l’on voulait chercher d’abord des raisons convaincantes et écarter les objections. Cette hardiesse même annonce une sorte de conviction intérieure de la légitimité de l’action, et le dieu du succès, bonus eventus, est ensuite le meilleur avocat.

2. Si fecisti, nega. Ce que tu as fait toi-même, par exemple, pour pousser ton peuple au désespoir et par là à la révolte, nie que ce soit ta faute, mais soutiens que c’est celle de l’obstination de tes sujets ; ou, s’il s’agit de la conquête d’un peuple voisin, rejette la faute sur la nature de l’homme, en disant que, si tu ne prévenais pas les autres par la force, tu ne pourrais certainement compter que ceux-ci ne te préviendraient pas de leur côté et ne s’empareraient pas de ce qui t’appartient.

3. Divide et impera. C’est-à-dire, y a-t-il dans ton peuple certains chefs privilégiés qui t’aient choisi pour leur souverain (primus inter pares), divise-les entre eux et brouille-les avec le peuple ; flatte ce dernier en lui promettant une plus grande liberté, et bientôt tout dépendra absolument de ta volonté. Ou bien convoites-tu des États étrangers, excite entre eux des discordes ; c’est un moyen assez sûr de te les assujettir les uns après les autres, sous prétexte de défendre toujours les plus faibles.

Personne, il est vrai, n’est plus la dupe de ces maximes politiques, car elles sont déjà toutes universellement connues ; aussi bien n’y a-t-il plus lieu d’en rougir, comme si l’injustice en était par trop éclatante. Car, puisque de grands États