Page:Kant - Éléments métaphysiques de la doctrine du droit.djvu/515

Cette page a été validée par deux contributeurs.

noble prérogative de l’humanité, oubliant ce mot d’un Grec : « La guerre est mauvaise en ce qu’elle fait plus de méchants qu’elle n’en enlève. » En voilà assez sur les mesures que prend la nature pour arriver à son propre but, relativement au genre humain, comme classe animale.

La question qui se présente maintenant touche à ce qu’il y a d’essentiel dans la poursuite de la paix perpétuelle : c’est de savoir « ce que la nature fait dans ce dessein, pour conduire l’homme au but, dont sa propre raison lui fait un devoir, et par conséquent pour favoriser son intention morale, et par quelle espèce de garantie elle assure l’exécution de ce que l’homme devrait faire, mais ne fait pas, d’après les lois de sa liberté, de telle sorte qu’il soit forcé de le faire, nonobstant cette liberté, par une contrainte de la nature, qui s’étende aux trois relations du droit public, le droit civil, le droit des gens et le droit cosmopolitique. » — Quand je dis que la nature veut qu’une chose arrive, cela ne signifie pas qu’elle nous en fait un devoir (car il n’y a que la raison pratique qui, échappant elle-même à toute contrainte, puisse nous prescrire des devoirs), mais qu’elle le fait elle-même, que nous le voulions ou non (fata volentem ducunt, nolentem trahunt).

I. Lors même qu’un peuple ne serait pas forcé par des discordes intestines à se soumettre à la contrainte des lois publiques, il y serait réduit par la guerre extérieure ; car, d’après les dispositions de la nature dont nous avons parlé précédemment, chaque peuple trouve devant lui un voisin qui le presse et l’oblige de se constituer en État, pour former une puissance capable de lui résister. Or la constitution républicaine, la seule qui soit parfaitement conforme aux droits de l’homme, est aussi la plus difficile à établir et particulièrement à maintenir ; aussi beaucoup soutiennent-ils qu’il faudrait pour cela un peuple d’anges, et que les hommes, avec leurs penchants égoïstes, sont incapables d’une forme de gouvernement aussi sublime. Mais la nature se sert justement de ces penchants intéressés, pour venir en aide à la volonté générale, qui se fonde sur la raison, et qui, si respectée qu’elle soit, se trouve impuissante dans la pratique. Aussi suffit-il pour la bonne organisation de l’État (laquelle est certainement au pouvoir des hommes) de combiner entre elles les forces humaines de telle sorte que l’une arrête les effets