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la finalité qu’elle manifeste dans le cours du monde, et en l’envisageant comme la sagesse profonde d’une cause suprême qui prédétermine le cours des choses en vue du but dernier et objectif du genre humain. Nous ne connaissons pas, il est vrai, proprement cette providence par ces dispositions artistement combinées de la nature ; nous ne saurions même conclure de ces dernières à la première ; seulement (comme dans tous les cas où nous rapportons la forme des choses à des fins en général) nous pouvons et devons la supposer, afin de nous faire une idée de la possibilité de ces dispositions, par analogie aux opérations de l’art humain ; mais, si l’idée du rapport de la nature et de son accord avec le but que la raison nous prescrit immédiatement (le but moral) est transcendante au point

    chariage du bois par des courants maritimes sur des côtes de glace où il ne peut croître et dont les habitants ne pourraient vivre sans cela), auquel cas, quoique nous puissions bien nous expliquer la cause physicomécanique de ces phénomènes (par exemple par les bois qui couvrent les rives des fleuves des pays tempérés, et qui, tombant dans ces fleuves, sont emportés plus loin par les courants), nous ne devons cependant pas omettre la cause téléologique, qui nous révèle la sollicitude d’une cause commandant à la nature. — Pour ce qui est de l’idée, usitée dans les écoles, d’une assistance divine, ou d’une coopération ( concursus) à un effet dans le monde sensible, il faut la rejeter absolument. Car il est d’abord contradictoire en soi de prétendre accoupler des choses incompatibles (grypes jungere equis), et de vouloir que celui même qui est la cause absolue de tous les changements qui arrivent dans le monde, complète, pendant le cours du monde, sa propre providence prédéterminante (ce qui supposerait qu’elle aurait été défectueuse), de dire par exemple que le médecin a guéri le malade après Dieu, et qu’il n’a été que comme son aide. Causa solitaria non juvat. Dieu est l’auteur du médecin et de tous ses remèdes ; et, si l’on veut remonter jusqu’au principe suprême, qui nous est d’ailleurs théorétiquement incompréhensible, il faut lui attribuer l’effet tout entier. On peut aussi l’attribuer tout entier au médecin, en considérant cet événement comme pouvant être expliqué par l’ordre de la nature dans la chaîne des causes du monde. En second lieu, une telle façon de penser fait disparaître tous les principes déterminés au moyen desquels nous jugeons un effet. Mais, sous le point de vue moralement pratique (qui est par conséquent tout à fait supra-sensible), par exemple dans la croyance que Dieu réparera, même par des moyens qui nous sont impénétrables, les défauts de notre propre justice, pourvu que notre intention ait été bonne, et que par conséquent nous ne devons rien négliger dans nos efforts vers le bien, l’idée du Concursus divin est tout à fait juste et même nécessaire; seulement il va sans dire que personne ne doit essayer d'expliquer par là une bonne action (comme événement du monde), car cette prétendue connaissance théorétique du supra-sensible est absurde.