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partient. Mais l’écrit d’un autre est un discours d’une personne (opera), et celui qui l’édite ne peut parler au public qu’au nom de cet autre, et il ne peut dire de lui-même autre chose sinon que l’auteur tient au public le discours suivant par son intermédiaire (impensis bibliopolæ). Il est en effet contradictoire de tenir en son nom un discours qui, d’après son propre avertissement et conformément aux informations du public, doit être le discours d’un autre. La raison pour laquelle les œuvres d’art peuvent être reproduites et livrées au public par d’autres que leurs auteurs, tandis que les livres, qui ont déjà leurs éditeurs, ne peuvent être contrefaits, c’est que les premières sont des œuvres[1] (opera), tandis que les seconds sont des actes[2] (operæ), et que celles-là sont des choses qui existent par elles-mêmes, tandis que ceux-ci n’ont d’existence que dans une personne. C’est pourquoi les derniers appartiennent exclusivement à la personne de l’auteur[3], et il a un droit inaliénable (jus personalissimum) de parler toujours lui-même par l’intermédiaire de tout autre, c’est-à-dire que personne ne peut tenir le même discours au public autrement qu’en son nom (au nom de l’auteur). Si cependant on modifie le livre d’un autre (si on le raccourcit ou l’augmente, ou si on le refond) de telle sorte qu’il ne serait plus juste de le publier sous le nom de l’auteur de l’original, cette refonte faite par l’éditeur en son propre nom ne constitue pas une contrefaçon, et par conséquent elle n’est pas défendue. Ici, en effet, un autre auteur entreprend par son éditeur une autre affaire que le premier, et par conséquent il ne porte pas atteinte aux droits de celui-ci dans ses affaires avec le public ; il ne représente pas cet auteur, mais un autre,

  1. Werke.
  2. Handlungen.
  3. L’auteur d’un livre et le propriétaire d’un exemplaire de ce livre peuvent en dire tous deux avec un égal droit : c’est mon livre, mais en l’entendant dans des sens différents. Le premier considère le livre comme un écrit ou un discours ; le second comme un instrument muet qui sert à lui transmettre ce discours, ou à le transmettre au public, c’est-à-dire comme un exemplaire. Ce droit de l’auteur n’est donc pas un droit sur une chose, c’est-à-dire sur l’exemplaire (le propriétaire peut donc le brûler devant les yeux de l’auteur), mais un droit inhérent à sa propre personne, c’est-à-dire le droit d’empêcher qu’un autre ne le fasse parler au public sans son consentement, consentement qui ne peut pas même être présumé, car il l’a déjà accordé exclusivement à un autre.