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condition de s’en servir pour traiter l’affaire de l’auteur avec le public ; or cette obligation envers le public subsiste, encore que celle qui l’engageait vis-à-vis de l’auteur soit détruite par la mort de celui-ci. On ne part point ici d’un droit du public sur le manuscrit, mais sur une affaire avec l’auteur. Si l’éditeur, après la mort de l’auteur, publiait son œuvre tronquée ou altérée, ou s’il n’en faisait pas tirer un nombre d’exemplaires suffisant pour satisfaire aux demandes, le public aurait le droit de le contraindre à rendre son édition plus exacte ou à multiplier le nombre de ses exemplaires, et, dans le cas contraire, de la faire faire ailleurs. Tout cela serait impossible, si le droit de l’éditeur ne dérivait pas d’une affaire entre l’auteur et le public, conduite par l’éditeur au nom de l’auteur.

À cette obligation de l’éditeur, que l’on accordera sans doute, il faut encore ajouter un droit qui s’y fonde, c’est-à-dire le droit à tout ce sans quoi cette obligation ne pourrait être remplie. C’est-à-dire qu’il doit exercer exclusivement le droit d’éditeur, parce que la concurrence des autres lui rendrait pratiquement impossible la conduite de son affaire.

Les œuvres d’art[1], comme choses, peuvent être au contraire, sur les exemplaires qu’on en a légitimement acquis, copiées ou moulées, et ces copies publiquement vendues, sans que l’on ait besoin pour cela du consentement de l’auteur de l’original ou de ceux dont il s’est servi pour exécuter ses idées. Un dessin que quelqu’un a esquissé ou qu’il a fait graver par un autre, ou encore qu’il a fait exécuter en pierre, en métal ou en plâtre, peut être reproduit ou moulé par celui qui a acheté cette production, et vendu publiquement sous cette forme, comme tout ce que l’on peut faire en son propre nom d’une chose qui vous appartient, sans avoir besoin du consentement d’un autre. La dactyliothèque de Lippert peut être copiée et mise en vente par quiconque en est possesseur et s’y entend, sans que l’inventeur puisse se plaindre d’une atteinte portée à ses affaires. Car c’est une œuvre (opus, non opera alterius) que tous ceux qui en sont possesseurs peuvent, sans même indiquer le nom de l’auteur, vendre, par conséquent aussi copier et mettre dans le commerce en leur propre nom, comme une chose qui leur ap-

  1. Kunstwerke