Page:Kant - Éléments métaphysiques de la doctrine du droit.djvu/35

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
xxv
DE LA DOCTRINE DU DROIT.


pas synthétiques ; celle qui a pour objet la légitimité d’une possession empirique est au contraire analytique, car elle ne contient rien de plus que ce qui résulte de cette possession même, suivant le principe de contradiction. Si je tiens une pomme à la main et que quelqu’un veuille me l’arracher, il est évident qu’il porte atteinte à ma propre personne, à ma liberté naturelle et au droit que j’ai d’être respecté comme homme. Nous ne sortons pas encore ici du mien intérieur 1[1] et du droit que chacun de nous porte en soi à titre de personne. Ici donc nulle difficulté : la proposition qui condamne comme contraire au droit la violence exercée sur moi pour m’arracher une chose dont je suis le détenteur est une proposition analytique. Mais que je sois le légitime possesseur d’un objet extérieur, encore que je ne le possède pas physiquement, et que celui-là porte atteinte à mon droit qui use de cet objet sans mon consentement, ce n’est plus là simplement une proposition analytique : il n’est plus ici question du mien intérieur, mais du mien extérieur ; c’est une proposition synthétique : elle dépasse les limites du concept de la possession empirique ou de la détention. Or comment cette extension du concept de la possession, comment cette proposition synthétique est-elle possible ? Là est le problème à résoudre {2)[2]. S’il s’agissait d’un principe théorétique, il faudrait, pour montrer comment est possible le concept donné, y substituer une intuition à priori, c’est-à dire y ajouter la condition du temps ou de l’espace ; c’est ainsi que l’on détermine le concept de la possession empirique d’un objet. Ici au contraire, comme il s’agit d’un principe pratique, il faut faire entièrement abstraction de toutes les conditions sur lesquelles se fonde la possession empirique, afin d’étendre le concept de la possession au delà de ces limites. Or, selon Kant, la possibilité d’une possession distincte de la possession empirique, ou, comme il s’exprime encore, la déduction du concept de cette nouvelle espèce de possession se fonde sur ce

  1. 1 V. plus haut, p. XVIII.
  2. (2) Ce problème, Kant l’applique ici à l’exemple de la possession d’un fonds de terre particulier, et il indique àce propos quelques-unesdes idées que lui suggère la question de la possession de la terre ; mais, comme nous retrouverons plus loin ces idées développées à leur place, il est inutile de nous y arrêter en ce moment.