Page:Kant - Éléments métaphysiques de la doctrine du droit.djvu/25

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
xv
DE LA DOCTRINE DU DROIT.


droit est douteux et où l’on ne peut s’en rapporter à la décision d’aucun juge. Considérons avec lui ces deux espèces de droit.

Equité.

Il y a certains cas où, tout en fondant ma réclamation sur un droit, je ne remplis pas toutes les conditions nécessaires pour qu’un tribunal public puisse prononcer en ma faveur ; ce sont ceux où l’équité seule est en jeu. Celui qui invoque le principe de l’équité fait plus que réclamer l’observation d’un certain devoir de vertu, comme s’il sollicitait la bienfaisance d’autrui : il parle au nom du droit ; mais il ne saurait le faire valoir devant un autre tribunal que celui de la conscience. Supposons, pour emprunter à Kant un de ses exemples, que, dans une association commerciale fondée sur le pied de l’égalité des bénéfices, l’un des associés ait montré beaucoup plus d’activité que les autres, il peut, au nom de l’équité, réclamer pour lui quelque chose de plus qu’un égal partage, et la société ne serait que juste en faisant droit à sa demande ; mais il n’y a point de tribunal ou de juge qui puisse la contraindre à cet acte d’équité, attendu que, dans le contrat de société, rien n’a été stipulé à cet égard. Il ne suffit pas d’en appeler à l’équité : c’est, dit Kant, une divinité muette, qui ne peut se faire entendre d’ailleurs qu’au tribunal de la conscience. L’associé dont nous parlons a pour lui l’équité, mais les autres ont le droit strict. Aussi est-ce ici le cas d’appliquer la maxime : summum jus, summa injuria.

Kant regarde comme contradictoire l’idée d’un tribunal d’équité (1)[1]. Il ajoute seulement que celui qui est juge en sa propre cause doit toujours consulter l’équité. « C’est ainsi, dit-il 2[2], que la Couronne supportera elle-même les pertes que

  1. (1) Oui, si par équité on entend cette sorte de droit large, dont il vient de nous donner un exemple, qui échappe à toute détermination précise et ne peut en aucun cas impliquer aucune contrainte. Mais n’y a-t-il pas aussi des cas où la loi peut et doit attribuer, en une certaine mesure, soit aux tribunaux ordinaires, soit à certains tribunaux spéciaux, la faculté de consulter l’équité et d’y fonder ses arrêts ? Nos justices de paix, qu’on nomme si bien des bureaux de conciliation, ne sont-elles pas pour beaucoup de cas des tribunaux de ce genre ? Sans doute il faut bien prendre garde d’ouvrir la porte à l’arbitraire, mais la loi ne peut tout prévoir et régler, et, le pût-elle, 11 faudrait bien se garder aussi d’étouffer l’esprit sous la lettre.
  2. 2 P. 52.