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ix
DE LA DOCTRINE DU DROIT.

Distinction du droit positif et du droit naturel.

D’après la définition que je viens d’en rapporter, la doctrine

    nous nous déterminons à obéir à la loi de la raison, ce n’est plus un désir, c’est un acte de volonté ; et, s’il veut parler du principe même de notre détermination, ce n’est plus un acte de la volonté, c’est une conception de la raison. Toute cette confusion vient de ce qu’il n’a pas suffisamment reconnu la nature propre de la volonté, ou ce qui la distingue essentiellement de la faculté de désirer d’une part, et de la raison de l’autre. Il définit ici (p. 16) la faculté de désirer, en tant que le principe qui la détermine est en elle-même et non dans les objets : à la faculté de faire ou de ne pas faire à son gré, » qu’il désigne aussi sous le nom d’arbitre ; mais cette définition, qui peut convenir en effet au libre arbitre ou à la volonté, ne s’applique pas du tout à la faculté de désirer. D’un autre côté, il confond, comme il le déclare lui-même expressément (p. 17), la volonté avec la raison, en la considérant plutôt dans le principe auquel elle doit se conformer que dans sa nature intime. Aussi dit-il plus loin, (p. 37) que « les lois morales procèdent de la volonté, » et que non pas la volonté, mais « l’arbitre seul peut être appelé libre. » Mais sa définition du libre arbitre ou de la liberté présente elle-même une confusion qui vient de la même cause ; je l’ai déjà relevée ailleurs (V. Examen de la Critique de la raison pratique, p. 276-281), et je n’ai plus besoin d’y insister. « Le libre arbitre, dit-il d’abord (p. 17), est celui qui peut être déterminé par la raison pure ; » cela serait bien s’il ajoutait que c’est aussi la faculté de s’en écarter. Mais il repousse (p. 37) cette définition qu’on en donne ordinairement : « la faculté de choisir entre une action conforme et une action contraire à la loi. » Ce n’est point là, selon lui, l’idée qu’on doit se faire de la liberté : « celle-ci ne peut jamais consister dans le pouvoir qu’aurait le sujet raisonnable de faire une chose contraire à la raison ; » cette faculté serait plutôt une impuissance qu’une puissance. J’ai indiqué la conséquence à laquelle conduirait cette définition prise à La lettre, et j’ai essayé de la concilier, en l’interprétant, avec l’idée de la responsabilité humaine, proclamée par Kant lui-même. Mais, comme je l’ai fait remarquer aussi, il est évident qu’il y a ici dans sa pensée une confusion qui vient de ce qu’en voulant définir la liberté, il songe plutôt au but moral qu’à la nature essentielle de cette faculté. — Kant reproduit ici les résultats qu’il a développés ailleurs (cf. Critique de la raison pratique et Examen de la Critique de la raison pratique) sur l’idée de la liberté : on sait qu’il en fait une idée purement rationnelle, mais transcendante pour la raison spéculative, et dont la raison pratique seule peut établir la réalité objective par le moyen de la loi morale ; on se rappelle le lien qu’il établit entre la première et la seconde (ibid. V. particulièrement, p. 51, 82, 253, de l’Examen). — On se rappelle aussi comment il joint (ibid., p. 27, 74, etc.) l’idée d’impératif à celle de la loi morale, et comment il distingue l’impératif catégorique, source de l’obligation morale, des impératifs conditionnels, qu’il nomme techniques. Il n’est pas nécessaire que je reprenne à mon tour toutes les définitions déjà connues que Kant replace dans ses Prolégomènes de la métaphysique des mœurs,. je m’attache seulement à celles qui se présentent ici pour la première fois. Les suivantes (p. 31 et suiv.) n’ont pas besoin de commentaire : c Toute action qui n’est contraire à aucune obligation est licite ; » —