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PREMIÈRE SECTION


triste seulement qu’elle sache si peu se garder et se laisse si facilement séduire. C’est pourquoi la sagesse, — qui d’ailleurs consiste bien plutôt à faire ou ne pas faire qu’à savoir — peul avoir besoin do la science, non pas pour s’instruire auprès d’elle, mais pour assurer à ses prescriptions l’accès des cœurs el leur donner de la stabilité. L’homme sent en lui un puissant contrepoids à tous les commandements du devoir que la raison lui représente comme si dignes de respect : ce sont ses besoins, ses tendances dont il résume dans le nom de bonheur la complète satisfaction. Or la raison lui impose ses prescriptions sans rien promettre aux tendances ; sans rien leur concéder, elle repousse avec dédain toutes leurs prétentions si tumultueuses et, en apparence, si justifiées (et qu’aucun ordre ne peut supprimer). C’est de là que naît une dialectique naturelle, je veux dire une tendance à chicaner contre ces.lois rigides du devoir, à révoquer en doute sinon leur valeur, au moins leur pureté et leur rigueur, et à les plier, autant que possible, au gré de nos désirs et de’nos inclinations, c’est-à-dire au fond à les corrompre et à les dépouiller de toute leur dignité, ce que la raison pratique vulgaire elle-même finira toujours par condamner.

C’est ainsi que la raison vulgaire de l’humanité, obéissant à des motifs tout pratiques et non à un besoin « le spéculation (qui ne la tente guère, tant qu’elle se contente d’être simplement la saine raison), se voit poussée à sorlir de son cercle et à s’engager dans le domaine de la philosophie pratique. Ce qu’elle veut obtenir, c’est d’être éclairée et clairement renseignée sur la source de son principe, sur sa véritable détermination en opposition avec les maximes fondées sur le besoin et l’inclination. Elle espère ainsi échapper à l’embarras que lui causent des prétentions opposées et au danger de perdre, au milieu des équivoques où elle