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DE LA MÉTAPHYSIQUE DES MŒURS


sa maxime, de négliger les dispositions qu’il a reçus de la nature, s’accorde aussi bien avec ce qu’on nomme le devoir qu’avec son penchant pour les plaisirs. Or il voit qu’à la vérité une nature, dont cette maxime serait une loi universelle, pourrait encore subsister, bien que les hommes (comme les insulaires de la mer du Sud) laissassent perdre leurs talents, et ne songeassent qu’à passer leur vie dans l’oisiveté, les plaisirs, la propagation de l’espèce, en un mot la jouissance ; mais il lui est impossible de vouloir que ce soit là une loi universelle de la nature, ou qu’une telle loi ait été mise en nous par la nature comme un instinct. En effet, en sa qualité d’être raisonnable, il veut nécessairement que toutes ses facultés soient développées, puisqu’elles lui servent et lui ont été données pour toutes sortes de fins possibles.

4. Enfin un quatrième qui est heureux, mais qui voit des hommes (qu’il pourrait soulager) aux prises avec l’adversité, se dit à lui-même : Que m’importe ? que chacun soit aussi heureux qu’il plaît au ciel ou qu’il peut l’être par lui-même, je ne l’empêcherai en rien ; je ne lui porterai pas même envie ; seulement je ne suis pas disposé à contribuer à son bien-être et à lui prêter secours dans le besoin ! Sans doute cette manière de voir pourrait être une loi universelle de la nature sans que l’existence du genre humain fût compromise, et cet ordre de choses vaudrait encore mieux que celui où chacun a sans cesse à la bouche les mots de compassion et de sympathie, et trouve même du plaisir à pratiquer ces vertus à l’occasion, mais, en revanche, trompe quand il le peut, et vend les droits