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FONDEMENTS


service à ceux qui tiennent toute moralité pour une chimère de l’imagination humaine, exaltée par l’amour-propre, que de leur accorder que les concepts du devoir doivent être uniquemen dérivés de l’expérience (comme d’ailleurs tous les autres concepts qu’on trouve fort commode de rapporter à la même origine) ; c’est leur préparer un triomphe certain. Je veux bien admettre, pour l’honneur de l’humanité, que la plupart de nos actions sont conformes au devoir ; mais si l’on examine de plus près le poids et la valeur, on voit partout paraître loe cher moi, et l’on trouve que c’est toujours lui que nous avons en vue dans nos actions, et non l’ordre sévère du devoir, lequel exige souvent une entière abnégation du moi-même. Un observateur du sang-froid, qui ne prend pas le désir, même le plus vif, de faire le bien pour le bien lui-même, peut, sans être un ennemi de la vertu, douter en certains moments (surtout si l’expérience et l’observation ont, pendant de longues années, exercé et fortifié son jugement) qu’il existe réellement dans le monde quelque véritable vertu. Et, puisqu’il en est ainsi, il n’y a qu’une chose qui puisse sauver nos idées du devoir d’une ruine complète, et maintenir dans l’âme le respect que nous devons à cette loi, c’est d’être clairement convaincu, que, quand il n’y aurait jamais eu d’action dérivée de cette source pure, il ne s’agit pas de ce qui a ou n’a pas lieu, mais de ce qui doit avoir lieu, ou de ce que la raison ordonne par elle-même et indépendamment de toutes les circonstances ; qu’ainsi la raison prescrit inflexiblement *[1] des actions dont le monde n’a peut-être

  1. * unnachlaßlich