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DU CONCEPT DU SOUVERAIN BIEN.


nature, et admirent une chose que contredit entièrement la connaissance de nous-mêmes, mais ils ne voulurent pas faire du second élément du souverain bien, c’est-à-dire du bonheur, un objet particulier de notre faculté de désirer : leur sage, semblable à un Dieu, se rendait par la conscience de l’excellence de sa personne absolument indépendant de la nature (quant à sa satisfaction) ; exposé, il est vrai, aux maux de la vie, il n’y était point soumis (il était aussi exempt de fautes *[1]). Les stoïciens laissaient ainsi réellement de côté le second élément du souverain bien, notre bonheur personnel, en le plaçant exclusivement dans notre activité et dans la satisfaction liée à notre valeur personnelle, c’est-à-dire dans la conscience de notre moralité, en quoi ils auraient pu être suffisamment réfutés par la voix de leur propre nature.

La doctrine du Christianisme 1[2], quand même on ne

  1. * vom Bösen.
  2. 1 On pense généralement que la doctrine morale du Christianisme ne remporte pas en pureté sur le concept moral des stoïciens ; mais la différence est pourtant très-manifeste. Le système stoïcien faisait de la conscience des forces de l’âme comme le pivot de toutes les intentions morales, et, quoique les partisans de ce système parlassent de devoir, et même les déterminassent exactement, ils plaçaient néanmoins le mobile et le véritable principe déterminant de la volonté dans une certaine grandeur d’âme qui élève l’homme au-dessus des mobiles inférieurs de la sensibilité, lesquels ne sont puissants que par notre faiblesse. La vertu était ainsi pour eux une sorte d’héroïsme, par où le sage s’élève au dessus de la nature animale de l’homme, se suffit à lui-même, impose aux autres des devoirs, au-dessus desquels il se place lui-même, et n’a pas à craindre d’être désormais tenté de violer la loi morale. Mais ils n’eussent point pensé ainsi, s’ils s’étaient représenté cette loi dans toute sa pureté et toute sa sévérité, comme le fait l’Évangile en ses préceptes. Quoique j’appelle idée une perfection à laquelle rien dans l’ex-
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