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CRITIQUE DE LA RAISON PRATIQUE.


se persuader qu’ils en avaient conscience. Épicure et les stoïciens élevaient par-dessus tout le bonheur qui résulte dans la vie de la conscience de la vertu, et le premier ne montrait point, dans ses préceptes pratiques, des sentiments aussi grossiers qu’on pourrait le croire d’après les principes de sa théorie, qu’il appliquait plutôt à l’explication des choses qu’à la conduite, ou que beaucoup le crurent en effet, trompés par l’expression de volupté qu’il substituait à celle de contentement *[1]. Il plaçait au contraire la pratique la plus désintéressée du bien au nombre des jouissances les plus intimes, et, dans sa morale du plaisir (il entendait par le plaisir une constante sérénité de cœur), il recommandait la tempérance et la domination des penchants, comme peut le faire le moraliste le plus sévère. Seulement il se séparait des stoïciens en plaçant dans le plaisir le principe de nos déterminations morales, ce que ceux-ci ne voulaient pas faire, et avec raison. En effet le vertueux Épicure, comme font encore aujourd’hui beaucoup d’hommes dont les intentions morales sont excellentes, mais qui ne réfléchissent pas assez profondément sur les principes, commit la faute de supposer déjà une intention **[2] vertueuse dans les personnes, à qui il voulait donner un mobile propre à les déterminer à la vertu (et, dans le fait, l’honnête homme ne peut se trouver heureux, s’il n’a d’abord conscience de son honnêteté, puisque les reproches que sa propre conscience le forcerait à s’adresser, toutes les fois qu’il manquerait à son devoir, et la condamna-

  1. * Zufeirdenheit.
  2. ** Gesinnung.