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FONDEMENTS


nature n’avait pas précisément travaillé à faire de cet homme qui ne serait certainement pas son plus mauvais ouvrage, un philanthrope, ne trouverait-il pas en lui un moyen de se donner à lui-même une valeur bien supérieure à celle que lui donnerait un tempérament compatissant ? Sans doute ! Et c’est ici précisément qu’éclate la valeur morale du caractère, la plus haute de toutes sans comparaison, celle qui vient de ce qu’on fait le" bien, non par inclination, mais par devoir.

Assurer son propre bonheur est un devoir du moins indirect, car celui qui est mécontent de son état peut aisément se laisser aller au milieu des soucis et des besoins qui le tourmentent, à la tentation de transgresser ses devoirs. Mais aussi, indépendamment de la considération du devoir, tous les hommes trouvent en eux-mêmes la plus puissante et la plus profonde inclination pour le bonheur, car cette idée du bonheur contient et résume en somme toutes leurs inclinations. Seulement les préceptes qui ont pour but le bonheur ont, la plupart du temps, pour caractère de porter préjudice et quelques inclinations, et d’ailleurs l’homme ne peut se faire un concept déterminé et certain de cette somme de satisfaction de tous ses penchants qu’il désigne sous le nom de bonheur. Aussi ne faut-il pas s’étonner qu’une seule inclination, qui promet quelque chose de déterminé, et peut être satisfaite à un moment précis, puisse l’emporter sur une idée incertaine ; qu’un goutteux, par exemple, puisse se dérider à jouir de tout ce qui lui plait, quoiqu’il doive souffrir, et que, d’après sa manière