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CRITIQUE DE LA RAISON PRATIQUE.


toujours défectueux, la loi, rendue visible *[1] par un exemple, confond toujours mon orgueil, car l’imperfection dont l’homme, qui me sert de mesure, pourrait bien être entachée ne m’est pas aussi bien connue que la mienne, et il m’apparaît ainsi sous un jour plus favorable. Le respect est un tribut que nous ne pouvons refuser au mérite, que nous le voulions ou non ; nous pouvons bien ne pas le laisser paraître au dehors, mais nous ne saurions nous empêcher de l’éprouver intérieurement.

Le respect est si peu un sentiment de plaisir, qu’on ne s’y livre pas volontiers à l’égard d’un homme. On cherche à trouver quelque chose qui puisse en alléger le fardeau, quelque motif de blâme qui dédommage de l’humiliation causée par l’exemple qu’on a sous les yeux. Les morts mêmes, surtout quand l’exemple qu’ils nous donnent parait inimitable, ne sont pas toujours à l’abri de cette critique. La loi morale elle-même, malgré son imposante majesté, n’échappe pas à ce penchant que nous avons à nous défendre du respect. Si nous aimons à la rabaisser jusqu’au rang d’une inclination familière, et si nous nous efforçons à ce point d’en faire un précepte favori d’intérêt bien entendu, n’est-ce pas pour nous délivrer de ce terrible respect, qui nous rappelle si sévèrement notre propre indignité ? Mais d’un autre côté le respect est si peu un sentiment de peine, que, quand une fois nous avons mis à nos pieds notre présomption, et que nous avons donné à ce sentiment une influence pratique, nous ne pouvons

  1. * anschaulich gemacht.