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CRITIQUE DE LA RAISON PRATIQUE.


moyens tirent toute leur valeur du but qu’on se propose), et que, pour arriver à ses fins, l’argent ou le bien d’autrui lui est aussi bon que le sien, pourvu qu’il soit sûr de pouvoir s’en servir sans danger ; ne croiriez-vous pas que celui qui vous recommanderait un tel homme ou se moquerait de vous, ou aurait perdu la tête. — La ligne de démarcation entre la moralité et l’amour de soi est si clairement et si distinctement tracée, que l’œil même le plus grossier ne peut confondre en aucun cas l’une de ces choses avec l’autre. Les quelques remarques qui suivent peuvent donc paraître superflues pour établir une vérité aussi évidente ; mais elles serviront du moins à donner un peu plus de clarté au jugement du sens commun.

Le principe du bonheur peut bien donner des maximes, mais non des maximes qui puissent servir de lois à la volonté, quand même on prendrait le bonheur général pour objet. En effet, comme la connaissance de cet objet repose sur des données purement empiriques, puisque le jugement qu’en porte chacun dépend de sa manière de voir, et que cette manière de voir même est très-variable dans le même individu, on en peut bien tirer des règles générales, mais non pas des règles universelles, c’est-à-dire on en peut bien tirer des règles qui après tout conviendront le plus souvent, mais non pas des règles ayant toujours et nécessairement la même valeur, et, par conséquent, on n’y peut fonder de lois pratiques. Précisément parce qu’ici un objet de la volonté doit servir de principe à sa règle, et, par conséquent, lui être antérieur, cette règle ne peut