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le secret de l’île.

« Le corral ! le corral ! » s’écria Ayrton.

C’était, en effet, vers le corral que se portaient les laves, par suite de l’orientation du nouveau cratère, et, conséquemment, c’étaient les parties fertiles de l’île, les sources du creek Rouge, les bois de Jacamar qui étaient menacés d’une destruction immédiate.

Au cri d’Ayrton, les colons s’étaient précipités vers l’étable des onaggas. Le chariot avait été attelé. Tous n’avaient qu’une pensée ! Courir au corral et mettre en liberté les animaux qu’il renfermait.

Avant trois heures du matin, ils étaient arrivés au corral. D’effroyables hurlements indiquaient assez quelle épouvante terrifiait les mouflons et les chèvres. Déjà un torrent de matières incandescentes, de minéraux liquéfiés, tombait du contrefort sur la prairie et rongeait ce côté de la palissade. La porte fut brusquement ouverte par Ayrton, et les animaux, affolés, s’échappèrent en toutes directions.

Une heure après, la lave bouillonnante emplissait le corral, volatilisait l’eau du petit rio qui le traversait, incendiait l’habitation, qui flamba comme un chaume, et dévorait jusqu’au dernier poteau l’enceinte palissadée. Du corral il ne restait plus rien !

Les colons avaient voulu lutter contre cet envahissement, ils l’avaient essayé, mais follement et inutilement, car l’homme est désarmé devant ces grands cataclysmes.

Le jour était venu, — 24 janvier. — Cyrus Smith et ses compagnons, avant de revenir à Granite-house, voulurent observer la direction définitive qu’allait prendre cette inondation de laves. La pente générale du sol s’abaissait du mont Franklin à la côte est, et il était à craindre que, malgré les bois épais de Jacamar, le torrent ne se propageât jusqu’au plateau de Grande-Vue.

« Le lac nous couvrira, dit Gédéon Spilett.

— Je l’espère ! » répondit Cyrus Smith, et ce fut là toute sa réponse.

Les colons auraient voulu s’avancer jusqu’à la plaine sur laquelle s’était abattu le cône supérieur du mont Franklin, mais les laves leur barraient alors le passage. Elles suivaient, d’une part, la vallée du creek Rouge, et, de l’autre, la vallée de la rivière de la Chute, en vaporisant ces deux cours d’eau sur leur passage. Il n’y avait aucune possibilité de traverser ce torrent ; il fallait, au contraire, reculer devant lui. Le volcan, découronné, n’était plus reconnaissable. Une sorte de table rase le terminait alors et remplaçait l’ancien cratère. Deux égueulements, creusés à ses bords sud et est, versaient incessamment les laves, qui formaient ainsi deux courants distincts. Au-dessus du nouveau cratère, un