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le secret de l’île.

Cependant, avec les beaux jours, les travaux avaient été repris. On pressait le plus possible la construction du navire, et, au moyen de la chute de la grève, Cyrus Smith parvint à établir une scierie hydraulique qui débita plus rapidement les troncs d’arbres en planches et en madriers. Le mécanisme de cet appareil fut aussi simple que ceux qui fonctionnent dans les rustiques scieries de la Norwége. Un premier mouvement horizontal à imprimer à la pièce de bois, un second mouvement vertical à donner à la scie, c’était là tout ce qu’il s’agissait d’obtenir, et l’ingénieur y réussit au moyen d’une roue, de deux cylindres et de poulies, convenablement disposés.

Vers la fin du mois de septembre, la carcasse du navire, qui devait être gréé en goëlette, se dressait sur le chantier de construction. La membrure était presque entièrement terminée, et tous ces couples ayant été maintenus par un cintre provisoire, on pouvait déjà apprécier les formes de l’embarcation. Cette goëlette, fine de l’avant, très-dégagée dans ses façons d’arrière, serait évidemment propre à une assez longue traversée, le cas échéant ; mais la pose du bordage, du vaigrage intérieur et du pont devait exiger encore un laps considérable de temps. Fort heureusement, les ferrures de l’ancien brick avaient pu être sauvées après l’explosion sous-marine. Des bordages et des courbes mutilés, Pencroff et Ayrton avaient arraché les chevilles et une grande quantité de clous de cuivre. C’était autant d’économisé pour les forgerons, mais les charpentiers eurent beaucoup à faire.

Les travaux de construction durent être interrompus pendant une semaine pour ceux de la moisson, de la fenaison et la rentrée des diverses récoltes qui abondaient au plateau de Grande-Vue. Cette besogne terminée, tous les instants furent désormais consacrés à l’achèvement de la goëlette.

Lorsque la nuit arrivait, les travailleurs étaient véritablement exténués. Afin de ne point perdre de temps, ils avaient modifié les heures de repas : ils dînaient à midi et ne soupaient que lorsque la lumière du jour venait à leur manquer. Ils remontaient alors à Granite-house, et ils se hâtaient de se coucher.

Quelquefois, cependant, la conversation, lorsqu’elle portait sur quelque sujet intéressant, retardait quelque peu l’heure du sommeil. Les colons se laissaient aller à parler de l’avenir, et ils causaient volontiers des changements qu’apporterait à leur situation un voyage de la goëlette aux terres les plus rapprochées. Mais au milieu de ces projets dominait toujours la pensée d’un retour ultérieur à l’île Lincoln. Jamais ils n’abandonneraient cette colonie, fondée avec tant de peines et de succès, et à laquelle les communications avec l’Amérique donneraient un développement nouveau.