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si heureux, et qui pouvaient s’attendre à de plus grands malheurs encore !

Gédéon Spilett demeura à Granite-house près d’Harbert et de Pencroff, tandis que Cyrus Smith, accompagné de Nab, allait juger par lui-même de l’étendue du désastre.

Il était heureux que les convicts ne se fussent pas avancés jusqu’au pied de Granite-house. Les ateliers des Cheminées n’auraient pas échappé à la dévastation. Mais, après tout, ce mal eût été peut-être plus facilement réparable que les ruines accumulées sur le plateau de Grande-Vue !

Cyrus Smith et Nab se dirigèrent vers la Mercy et en remontèrent la rive gauche, sans rencontrer aucune trace du passage des convicts. De l’autre côté de la rivière, dans l’épaisseur du bois, ils n’aperçurent non plus aucun indice suspect.

D’ailleurs, voici ce qu’on pouvait admettre, suivant toute probabilité : ou les convicts connaissaient le retour des colons à Granite-house, car ils avaient pu les voir passer sur la route du corral ; ou, après la dévastation du plateau, ils s’étaient enfoncés dans le bois de Jacamar, en suivant le cours de la Mercy, et ils ignoraient ce retour.

Dans le premier cas, ils avaient dû retourner vers le corral, maintenant sans défenseurs, et qui renfermait des ressources précieuses pour eux.

Dans le second, ils avaient dû regagner leur campement, et attendre là quelque occasion de recommencer l’attaque.

Il y aurait donc lieu de les prévenir ; mais toute entreprise destinée à en débarrasser l’île était encore subordonnée à la situation d’Harbert. En effet, Cyrus Smith n’aurait pas trop de toutes ses forces, et personne ne pouvait, en ce moment, quitter Granite-house.

L’ingénieur et Nab arrivèrent sur le plateau. C’était une désolation. Les champs avaient été piétinés. Les épis de la moisson, qui allait être faite, gisaient sur le sol. Les autres plantations n’avaient pas moins souffert. Le potager était bouleversé. Heureusement, Granite-house possédait une réserve de graines qui permettait de réparer ces dommages.

Quant au moulin et aux bâtiments de la basse-cour, à l’étable des onaggas, le feu avait tout détruit.

Quelques animaux effarés rôdaient à travers le plateau. Les volatiles, qui s’étaient réfugiés pendant l’incendie sur les eaux du lac, revenaient déjà à leur emplacement habituel et barbotaient sur les rives. Là, tout serait à refaire.

La figure de Cyrus Smith, plus pâle que d’ordinaire, dénotait une colère intérieure qu’il ne dominait pas sans peine, mais il ne prononça pas une parole.