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l’abandonné.

s’inquiéter si les griffes du fauve lui pénétraient dans les chairs, et, de l’autre, il lui fouillait le cœur avec son couteau.

Le jaguar tomba. L’inconnu le poussa du pied, et il allait s’enfuir au moment où les colons arrivaient sur le théâtre de la lutte, quand Harbert, s’attachant à lui, s’écria :

« Non ! non ! vous ne vous en irez pas ! »

Cyrus Smith alla vers l’inconnu, dont les sourcils se froncèrent, lorsqu’il le vit s’approcher. Le sang coulait à son épaule sous sa veste déchirée, mais il n’y prenait pas garde.

« Mon ami, lui dit Cyrus Smith, nous venons de contracter une dette de reconnaissance envers vous. Pour sauver notre enfant, vous avez risqué votre vie !

— Ma vie ! murmura l’inconnu. Qu’est-ce qu’elle vaut ? Moins que rien !

— Vous êtes blessé ?

— Peu importe.

— Voulez-vous me donner votre main ? »

Et comme Harbert cherchait à saisir cette main, qui venait de le sauver, l’inconnu se croisa les bras, sa poitrine se gonfla, son regard se voila, et il parut vouloir fuir ; mais, faisant un violent effort sur lui-même, et d’un ton brusque :

« Qui êtes-vous ? dit-il, et que prétendez-vous être pour moi ? »

C’était l’histoire des colons qu’il demandait ainsi, et pour la première fois. Peut-être, cette histoire racontée, dirait-il la sienne ?

En quelques mots, Cyrus Smith raconta tout ce qui s’était passé depuis leur départ de Richmond, comment ils s’étaient tirés d’affaire, et quelles ressources étaient maintenant à leur disposition.

L’inconnu l’écoutait avec une extrême attention.

Puis, l’ingénieur dit alors ce qu’ils étaient tous, Gédéon Spilett, Harbert, Pencroff, Nab, lui, et il ajouta que la plus grande joie qu’ils avaient éprouvée depuis leur arrivée dans l’île Lincoln, c’était à leur retour de l’îlot, quand ils avaient pu compter un compagnon de plus.

À ces mots, celui-ci rougit, sa tête s’abaissa sur sa poitrine, et un sentiment de confusion se peignit sur toute sa personne.

« Et maintenant que vous nous connaissez, ajouta Cyrus Smith, voulez-vous nous donner votre main ?

— Non, répondit l’inconnu d’une voix sourde, non ! Vous êtes d’honnêtes gens, vous ! Et moi !… »