Page:Jules Verne - L’Île mystérieuse.djvu/253

Cette page a été validée par deux contributeurs.
253
l’abandonné.

Vers trois heures, Cyrus Smith et ses compagnons arrivèrent à une étroite crique bien fermée, à laquelle n’aboutissait aucun cours d’eau. Elle formait un véritable petit port naturel, invisible du large, auquel aboutissait une étroite passe, que les écueils ménageaient entre eux.

Au fond de cette crique, quelque violente convulsion avait déchiré la lisière rocheuse, et une coupée, évidée en pente douce, donnait accès au plateau supérieur, qui pouvait être situé à moins de dix milles du cap Griffe, et, par conséquent, à quatre milles en droite ligne du plateau de Grande-Vue.

Gédéon Spilett proposa à ses compagnons de faire halte en cet endroit. On accepta, car la marche avait aiguisé l’appétit de chacun, et, bien que ce ne fût pas l’heure du dîner, personne ne refusa de se réconforter d’un morceau de venaison. Ce lunch devait permettre d’attendre le souper à Granite-house.

Quelques minutes après, les colons, assis au pied d’un magnifique bouquet de pins maritimes, dévoraient les provisions que Nab avait tirées de son havre-sac.

L’endroit était élevé de cinquante à soixante pieds au-dessus du niveau de la mer. Le rayon de vue était donc assez étendu, et, passant par-dessus les dernières roches du cap, il allait se perdre jusque dans la baie de l’Union. Mais ni l’îlot, ni le plateau de Grande-Vue n’étaient visibles et ne pouvaient l’être alors, car le relief du sol et le rideau des grands arbres masquaient brusquement l’horizon du nord.

Inutile d’ajouter que, malgré l’étendue de mer que les explorateurs pouvaient embrasser, et bien que la lunette de l’ingénieur eût parcouru point à point toute cette ligne circulaire sur laquelle se confondaient le ciel et l’eau, aucun navire ne fut aperçu.

De même, sur toute cette partie du littoral qui restait encore à explorer, la lunette fut promenée avec le même soin depuis la grève jusqu’aux récifs, et aucune épave n’apparut dans le champ de l’instrument.

« Allons, dit Gédéon Spilett, il faut en prendre son parti et se consoler en pensant que nul ne viendra nous disputer la possession de l’île Lincoln !

— Mais enfin, ce grain de plomb ! dit Harbert. Il n’est pourtant pas imaginaire, je suppose !

— Mille diables, non ! s’écria Pencroff, en pensant à sa mâchelière absente.

— Alors que conclure ? demanda le reporter.

— Ceci, répondit l’ingénieur : c’est qu’il y a trois mois au plus, un navire, volontairement ou non, a atterri…

— Quoi ! vous admettriez, Cyrus, qu’il s’est englouti sans laisser aucune trace ? s’écria le reporter.