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l’abandonné.

pieds de tour à sa base, et leur écorce, sillonnée par les réseaux d’une résine parfumée, comptait jusqu’à cinq pouces d’épaisseur. Rien de plus merveilleux, mais aussi de plus singulier, que ces énormes échantillons de la famille des myrtacées, dont le feuillage se présentait de profil à la lumière et laissait arriver jusqu’au sol les rayons du soleil !

Au pied de ces eucalyptus, une herbe fraîche tapissait le sol, et du milieu des touffes s’échappaient des volées de petits oiseaux, qui resplendissaient dans les jets lumineux comme des escarboucles ailées.

« Voilà des arbres ! s’écria Nab, mais sont-ils bons à quelque chose ?

— Peuh ! répondit Pencroff. Il en doit être des végétaux-géants comme des géants humains. Cela ne sert guère qu’à se montrer dans les foires !

— Je crois que vous faites erreur, Pencroff, répondit Gédéon Spilett, et que le bois d’eucalyptus commence à être employé très-avantageusement dans l’ébénisterie.

— Et j’ajouterai, dit le jeune garçon, que ces eucalyptus appartiennent à une famille qui comprend bien des membres utiles : le goyavier, qui donne les goyaves ; le giroflier, qui produit les clous de girofle ; le grenadier, qui porte les grenades ; l’« eugenia cauliflora », dont les fruits servent à la fabrication d’un vin passable ; le myrte « ugni », qui contient une excellente liqueur alcoolique ; le myrte « caryophyllus », dont l’écorce forme une cannelle estimée ; l’« eugenia pimenta », d’où vient le piment de la Jamaïque ; le myrte commun, dont les baies peuvent remplacer le poivre ; l’« eucalyptus robusta », qui produit une sorte de manne excellente ; l’« eucalyptus gunei », dont la sève se transforme en bière par la fermentation ; enfin tous ces arbres connus sous le nom « d’arbres de vie » ou « bois de fer », qui appartiennent à cette famille des myrtacées, dont on compte quarante-six genres et treize cents espèces ! »

On laissait aller le jeune garçon, qui débitait avec beaucoup d’entrain sa petite leçon de botanique. Cyrus Smith l’écoutait en souriant, et Pencroff avec un sentiment de fierté impossible à rendre.

« Bien, Harbert, répondit Pencroff, mais j’oserais jurer que tous ces échantillons utiles que vous venez de citer ne sont point des géants comme ceux-ci !

— En effet, Pencroff.

— Cela vient donc à l’appui de ce que j’ai dit, répliqua le marin, à savoir : que les géants ne sont bons à rien !

— C’est ce qui vous trompe, Pencroff, dit alors l’ingénieur, et précisément ces gigantesques eucalyptus qui nous abritent sont bons à quelque chose.

— Et à quoi donc ?