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les naufragés de l’air.

l’équateur en même temps que la faune. Les parties centrales de l’Amérique méridionale et de l’Afrique deviendront les continents habités par excellence. Les Lapons et les Samoyèdes retrouveront les conditions climatériques de la mer polaire sur les rivages de la Méditerranée. Qui nous dit, qu’à cette époque, les régions équatoriales ne seront pas trop petites pour contenir l’humanité terrestre et la nourrir ? Or, pourquoi la prévoyante nature, afin de donner refuge à toute l’émigration végétale et animale, ne jetterait-elle pas, dès à présent, sous l’équateur, les bases d’un continent nouveau, et n’aurait-elle pas chargé les infusoires de le construire ? J’ai souvent réfléchi à toutes ces choses, mes amis, et je crois sérieusement que l’aspect de notre globe sera un jour complètement transformé, que, par suite de l’exhaussement de nouveaux continents, les mers couvriront les anciens, et que, dans les siècles futurs, des Colombs iront découvrir les îles du Chimboraço, de l’Himalaya ou du mont Blanc, restes d’une Amérique, d’une Asie et d’une Europe englouties. Puis enfin, ces nouveaux continents, à leur tour, deviendront eux-mêmes inhabitables ; la chaleur s’éteindra comme la chaleur d’un corps que l’âme vient d’abandonner, et la vie disparaîtra, sinon définitivement du globe, au moins momentanément. Peut-être, alors, notre sphéroïde se reposera-t-il, se refera-t-il dans la mort pour ressusciter un jour dans des conditions supérieures ! Mais tout cela, mes amis, c’est le secret de l’Auteur de toutes choses, et, à propos du travail des infusoires, je me suis laissé entraîner un peu loin peut-être à scruter les secrets de l’avenir.

— Mon cher Cyrus, répondit Gédéon Spilett, ces théories sont pour moi des prophéties, et elles s’accompliront un jour.

— C’est le secret de Dieu, dit l’ingénieur.

— Tout cela est bel et bien, dit alors Pencroff, qui avait écouté de toutes ses oreilles, mais m’apprendrez-vous, monsieur Cyrus, si l’île Lincoln a été construite par vos infusoires ?

— Non, répondit Cyrus Smith, elle est purement d’origine volcanique.

— Alors, elle disparaîtra un jour ?

— C’est probable.

— J’espère bien que nous n’y serons plus.

— Non, rassurez-vous, Pencroff, nous n’y serons plus, puisque nous n’avons aucune envie d’y mourir et que nous finirons peut-être par nous en tirer.

— En attendant, répondit Gédéon Spilett, installons-nous comme pour l’éternité. Il ne faut jamais rien faire à demi. »

Ceci finit la conversation. Le déjeuner était terminé. L’exploration fut reprise, et les colons arrivèrent à la limite où commençait la région marécageuse.