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les naufragés de l’air.

— Demain, dès que nous aurons creusé un trou de mine, » répondit l’ingénieur.

Le lendemain, — 21 mai, — dès l’aube, les mineurs se rendirent à une pointe qui formait la rive est du lac Grant, et à cinq cents pas seulement de la côte. En cet endroit, le plateau était en contre-bas des eaux, qui n’étaient retenues que par leur cadre de granit. Il était donc évident que si l’on brisait ce cadre, les eaux s’échapperaient par cette issue, et formeraient un ruisseau qui, après avoir coulé à la surface inclinée du plateau, irait se précipiter sur la grève. Par suite, il y aurait abaissement général du niveau du lac, et mise à découvert de l’orifice du déversoir, — ce qui était le but final.

C’était donc le cadre qu’il s’agissait de briser. Sous la direction de l’ingénieur, Pencroff, armé d’un pic qu’il maniait adroitement et vigoureusement, attaqua le granit sur le revêtement extérieur. Le trou qu’il s’agissait de percer prenait naissance sur une arête horizontale de la rive, et il devait s’enfoncer obliquement, de manière à rencontrer un niveau sensiblement inférieur à celui des eaux du lac. De cette façon, la force explosive, en écartant les roches, permettrait aux eaux de s’épancher largement au dehors et, par suite, de s’abaisser suffisamment.

Le travail fut long, car l’ingénieur, voulant produire un effet formidable, ne comptait pas consacrer moins de dix litres de nitro-glycérine à l’opération. Mais Pencroff, relayé par Nab, fit si bien que, vers quatre heures du soir, le trou de mine était achevé.

Restait la question d’inflammation de la substance explosive. Ordinairement, la nitro-glycérine s’enflamme au moyen d’amorces de fulminate qui, en éclatant, déterminent l’explosion. Il faut, en effet, un choc pour provoquer l’explosion, et, allumée simplement, cette substance brûlerait sans éclater.

Cyrus Smith aurait certainement pu fabriquer une amorce. À défaut de fulminate, il pouvait facilement obtenir une substance analogue au coton-poudre, puisqu’il avait de l’acide azotique à sa disposition. Cette substance, pressée dans une cartouche, et introduite dans la nitro-glycérine, aurait éclaté au moyen d’une mèche et déterminé l’explosion.

Mais Cyrus Smith savait que la nitro-glycérine a la propriété de détonner au choc. Il résolut donc d’utiliser cette propriété, quitte à employer un autre moyen, si celui-là ne réussissait pas.

En effet, le choc d’un marteau sur quelques gouttes de nitro-glycérine, répandues à la surface d’une pierre dure, suffit à provoquer l’explosion. Mais l’opérateur ne pouvait être là, à donner le coup de marteau, sans être victime de l’opé-