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LE PLOT.


Mes tantes y arrivent le samedi pour vendre du fromage, des poulets et du beurre.

Je vais les y voir, et c’est une fête chaque fois.

C’est qu’on y entend des cris, du bruit, des rires !

Il y a des embrassades et des querelles.

Il y a des engueulades qui rougissent les yeux, bleuissent les joues, crispent les poings, arrachent les cheveux, cassent les œufs, renversent les éventaires, dépoitraillent les matrones et me remplissent d’une joie pure.

Je nage dans la vie familière, grasse, plantureuse et saine.

J’aspire à plein nez des odeurs de nature : la marée, l’étable, les vergers, les bois…

Il y a des parfums âcres et des parfums doux, qui viennent des paniers de poissons ou des paniers de fruits, qui s’échappent des tas de pommes ou des tas de fleurs, de la motte de beurre ou du pot de miel.

Et comme les habits sont bien des habits de campagne !

Les vestes des hommes se redressent comme des queues d’oiseaux, les cotillons des femmes se tiennent en l’air comme s’il y avait un champignon dessous.

Des cols de chemise comme des œillères de cheval, des pantalons à ponts, couleur de vache avec des boutons larges comme des lunes, des chemises pelucheuses et jaunes comme des peaux de cochons, des souliers comme des troncs d’arbre…