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Mon Dieu ! Faites que ma mère n’en sache rien !

J’accepterais d’être Pierrouni le petit vacher, et d’aller, une branche à la main, une pomme verte aux dents, conduire les bêtes dans le pâturage, près des mûres, pas loin du verger.

Il y a des églantiers rouges dans les buissons, et là-haut un point barbu, qui est un nid ; il y a des bêtes du bon Dieu, comme de petits haricots qui volent, et dans les fleurs, des mouches vertes qui ont l’air saoules.

On laisse Pierrouni se dépoitrailler, quand il a chaud, et se dépeigner quand il en a envie.

On n’est pas toujours à lui dire :

« Laisse tes mains tranquilles, qu’est-ce que tu as donc fait à ta cravate ? — Tiens-toi droit. — Est-ce que tu es bossu ? — Il est bossu ! — Boutonne ton gilet. — Retrousse ton pantalon. — Qu’est-ce que tu as fait de l’olive ? L’olive là, à gauche, la plus verte ! — Ah ! cet enfant me fera mourir de chagrin ! »


Mais les grands domestiques aussi sont plus heureux que mon père !

Ils n’ont pas besoin de porter des gilets boutonnés jusqu’en haut pour couvrir une chemise de trois jours ! Ils n’ont pas peur de mon oncle Jean comme mon père a peur du proviseur ; ils ne se cachent pas pour rire et boire un verre de vin, quand ils ont des sous ; ils chantent de bon cœur, à pleine voix, dans les champs, quand ils travaillent ; le dimanche, ils font tapage à l’auberge.