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dents, et sans me regarder en face, ce mot qui me faisait mal !

Fainéant ! — Parce que, dans le silence glacial de la maison, ce travail de bachau et cet acharnement sur les morts m’ennuient, parce que je trouve les batailles des Romains moins dures que les miennes, et que je me sens plus triste que Coriolan ! Oh ! il ne faut pas qu’il m’appelle fainéant !

Fainéant !

Si mon père était un autre homme, j’irais à lui, et je lui dirais :

« Je te jure que je vais travailler, bien travailler, mais n’aie plus vis-à-vis de moi cette attitude cruelle ! »

Il me renverrait comme un menteur. J’ai bien vu cela, quand j’étais plus jeune.

Deux ou trois fois quand il allait m’humilier ou me battre, je lui promis, s’il ne le faisait point, de tenir n’importe quelle parole il voudrait. Il avait fait fi de mes engagements, et je lui en avais voulu, tout enfant que je fusse, de si peu croire au courage de son fils.

Aujourd’hui encore il me rirait au nez et il croirait que je caponne !

Allons ! je vivrai à côté de lui comme à côté d’un garde-chiourme, et je travaillerai tout de même ! C’est dit.

Mais le lendemain soir, ma mère venait m’annoncer, toute effrayée, que mon père ne voulait plus que je restasse dehors et que je courusse les cafés comme