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Le jour du concours arrive.

Nous nous levons de grand matin. On nous a donné un filet qui est un des trophées de la maison, et l’on y met du vin, du poulet froid. Legnagna me tend la main. Je ne puis pas lui refuser la mienne, mais je la tends mal, et ce geste de fausse amitié est pire que l’hostilité et le silence.

« Distinguez-vous… »

Il rit d’un rire lâche.

Nous partons, Anatoly et moi ; il fait un petit froid piquant.


Nous arrivons presque en retard.

Je n’avais jamais vu Paris par le soleil frais du matin, vide et calme, et je me suis arrêté cinq minutes sur le pont, à regarder le ciel blanc et à écouter couler l’eau. Elle battait l’arche du pont.

Il y avait sur le bord de la Seine un homme en chapeau qui lavait son mouchoir. Il était à genoux comme une blanchisseuse ; il se releva, tordit le bout du linge et l’étala une seconde au vent. Je le suivais des yeux. Puis il le plia avec soin et le mit à sécher sous sa redingote, qu’il entrouvrit et reboutonna d’un geste de voleur.

Il ramassa quelque chose que j’avais remarqué par terre. C’était un livre comme un dictionnaire.

Anatoly me tira par les basques, il fallait partir ; mais j’eus le temps de voir une face pâle, tout d’un coup au-dessus des marches.

Je l’ai encore devant les yeux, et toute la journée