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Mais j’ai quatorze ans, je ne sais pas ce qu’il faut faire dire à Annibal, à Caracalla, ni à Torquatus, non plus !

Non, je ne le sais pas !

Je cherche aux adverbes, et aux adjectifs du Gradus, et je ne fais que copier ce que je trouve dans l’Alexandre.

Mon père l’ignore, je n’ai pas osé l’avouer.

Mais lui, lui-même ! (oh ! je vends un secret de famille !) j’ai vu que ses exercices à lui, pour l’agrégation étaient faits aussi de pièces et de morceaux. — Sommes-nous une famille de crétins ?…

Quelquefois il compose un discours où il faut faire parler une femme. — Les plaintes d’Agrippine, Aspasie à Socrate, Julie à Ovide.

Je le vois qui se gratte le front, et il touche sa barbe avec horreur ; — il est Agrippinus, Aspasios, il n’est pas Aspasie, il n’est pas Agrippine, — il se tord les poils et se les mord, désespéré !

Je sens toute l’infériorité de ma nature, et j’en souffre beaucoup.

Je souffre de me voir accablé d’éloges que je ne mérite pas, on me prend pour un fort, je ne suis qu’un simple filou. Je vole à droite, à gauche, je ramasse des rejets au coin des livres. Je suis même malhonnête quelquefois. J’ai besoin d’une épithète ; peu m’importe de sacrifier la vérité ! Je prends dans le dictionnaire le mot qui fait l’affaire, quand même il dirait le contraire de ce que je voulais dire. Je perds la notion juste ! Il me faut mon spondée ou mon