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jamais raté un filage ; je me suis empressé de manquer la classe aussi souvent que j’ai pu, pour filer en bateau sur le Furens, ou près de la forge, dans la grande usine, dont le père de Terrasson est le contre-maître.

Je suis monté sur le grand arbre du Clos Pélissier, et je suis allé jusqu’au bout de la grande branche.

Je me rappelle tout cela en ce moment ; j’ai le cerveau un peu émoustillé. Je me figure que je tiens une balance. Si on m’empêche d’aller sur le bord de l’eau, de m’approcher des briqueteries ou des ballons, je ne dirai rien, — je ne veux pas que ma mère ait peur ; — mais, à la première occasion, je me rattraperai, j’entrerai dans la rivière jusqu’à la ceinture, et je mettrai mon pied au-dessus des coulées de fer fondu.

C’est bien décidé. En attendant, ce soir, comme ma mère m’a laissé libre, je ferai tout pour ne pas me noyer.

Si elle m’avait défendu de jouer, je n’aurais pas pu m’empêcher de me pencher sur la roue, de chercher à prendre de l’écume dans le creux de la main…

Nous courons d’un bout du bateau à l’autre ; nous hélons le mécanicien, nous tourmentons l’homme du gouvernail, nous touchons aux cordages, nous tâtons le cabestan, nous essayons de soulever l’ancre…

La journée fuit, le soir arrive.


Nous nous laissons prendre comme des hommes par la mélancolie du crépuscule ; les joues froides, avec un frisson dans le cou, nos grands cheveux se-