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et lui demanda de retourner tout de suite au village.

Mais à la lettre qui vint de Farreyrolles, ma mère répliqua :

« Veux-tu donner raison à ta fille contre moi ? Crois-tu ta sœur une menteuse ? Crois-tu, comme elle l’a dit, que je souillonne ! Crois-tu ?… — Si tu le crois, — c’est bien ! »

C’est moi qui mis les virgules et les pluriels.

On n’osa pas reprendre Marianne tout de suite, et elle resta un mois encore.

Elle souffrit beaucoup pendant ce mois-là, mais moi, comme je fus heureux !

Elle était blonde, avec de grands yeux bleus toujours humides, un peu froids, qui avaient l’air de baigner dans l’eau. — Ses cheveux étaient presque couleur de chanvre, et ses joues étaient saupoudrées de rousseurs ; mais la peau du cou était blanche, tendre et fine comme du lait caillé.

Je l’ai revue, longtemps après, dans le fond d’un couvent, à travers une grille : elle s’était faite religieuse.

« Si j’étais restée plus longtemps à Saint-Étienne, murmura-t-elle en baissant les paupières, je ne serais peut-être jamais venue ici.

— Le regrettez-vous ? »

Elle éloigna du guichet sa tête pâle encadrée dans la grande coiffe blanche des sœurs de Charité et ne répondit rien, mais je crus voir deux larmes tomber de ses yeux clairs, et il me sembla reconnaître un geste de regret et de tendresse…