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C’était à ma cousine Marianne. On l’avait fait venir de Farreyrolles sous prétexte qu’elle était née avec des manières de dame, et qu’un séjour de quelque temps dans notre famille, ne pouvait manquer de lui donner le vernis et la tournure qu’on gagne dans la compagnie des gens d’éducation et de goût.

Pauvre cousine Marianne !

On en fit une domestique, qu’on maltraitait tout comme moi, — moins les coups.

Nous étions ensemble dans la cuisine, — je faisais le gros — un homme doit savoir tout faire. Je grattais le fond des chaudrons, elle en faisait reluire le ventre. Pour les assiettes, c’est moi qui raclais le ventre, c’est elle qui essuyait le fond : c’était la consigne. Ma mère avait fait remarquer avec conviction que ce qui est sale dans les chaudrons, c’est le dessous ; que ce qui est sale dans les assiettes, c’est le dessus. Et voilà pourquoi je faisais le gros.

On l’a obligée aussi à garder son petit bonnet de campagne. Elle en était toute fière à Farreyrolles et savait que les gars disaient qu’elle le portait bien. Mais elle sentait qu’à Saint-Étienne cela faisait rire. On détournait la tête, on la regardait avec curiosité.

Ma mère de dire :

« C’est que je l’aime comme mon fils, voyez-vous ! Je ne fais pas de différence entre eux deux. » Et elle ajoutait : « Jacques pourrait presque s’en fâcher. »

Oui, je me fâche, et je voudrais qu’on fît une différence ; c’est bien assez qu’on m’ait ennuyé comme on l’a fait, sans qu’on l’ennuie aussi.