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« Fort comme il est, et si fainéant ! » disent-ils toujours. C’est justement parce que je suis fort que je m’ennuie dans ces classes et ces études où l’on me garde tout le jour. Les jambes me démangent, la nuque me fait mal.

Je suis gai de nature ; j’aime à rire et j’ai la rate qui va en éclater quelquefois ! Quand je peux échapper aux pensums, éviter le séquestre, être loin du pion ou du professeur, je saute comme un gros chien, j’ai des gaietés de nègre.

Être nègre !

Oh ! comme j’ai désiré longtemps être nègre !

D’abord, les négresses aiment leurs petits. — J’aurais eu une mère aimante.

Puis quand la journée est finie, ils font des paniers pour s’amuser, ils tressent des lianes, cisèlent du coco, et ils dansent en rond !

Zizi, bamboula ! Dansez Canada !

Ah ! oui ! j’aurais bien voulu être nègre. Je ne le suis pas, je n’ai pas de veine !

Faute de cela je me ferai matelot.

Tout le monde s’en trouvera bien.

« Je les fais périr de chagrin ? » ils me l’ont assez dit, n’est-ce pas ?

Ils vont revivre, ressusciter.

Je leur laisse ma part de haricots, ma tranche de pain ; mais ils devront finir le gigot !

Finir le gigot ?

Je suis une triste nature décidément ! Je ne songe pas seulement au plaisir d’échapper à ce gigot, mais