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« Fais-moi une exemption de deux cents vers et je te prête la Vie de Cartouche. »

Mon cœur battait à se rompre.

« Je te la donne ! Je ne te la prête pas, je te la donne… »

Le coup était porté, l’abîme creusé ; je jetai mon honneur par-dessus les moulins, je dis adieu à la vie de société, je me réfugiai dans le faussariat.


J’ai ainsi fourni d’exemptions pendant un temps que je n’ose mesurer, j’ai bourré de signatures contrefaites ce garçon, qui avait, il est vrai, conçu le premier l’idée de cette criminelle combinaison, mais dont je me fis, tête baissée, l’infernal complice.

À ce prix-là, j’eus des livres, — tous ceux qu’il avait lui-même ; — il recevait beaucoup d’argent de sa famille, et pouvait même entretenir des grenouilles derrière des dictionnaires. J’aurais pu avoir des grenouilles aussi — il m’en a offert — mais si j’étais capable de déshonorer le nom de mon père pour pouvoir lire, parce que j’avais la passion des voyages et des aventures, et si je n’avais pu résister à cette tentation-là, je m’étais juré de résister aux autres, et je ne touchai jamais la queue d’une grenouille, qu’on me croie sur parole ! Je ne ferai pas des moitiés d’aveux.

Et n’est-ce point assez d’avoir trompé la confiance publique, imité une signature honorable et honorée, pendant deux ans ! Cela dura deux ans. Nous nous arrêtâmes las du crime ou parce que cela ne servait