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que le Vosgien ait ainsi interprété ce coassement qui ressemble à une plainte ? Le premier qui crut entendre une expression de sympathie dans le gosier peu musical de la grenouille, ne serait-ce pas, à la fin d’une journée de sueur et de fatigue,

Un pauvre bûcheron tout couvert de ramée, (Paurome !)

qui dans la peinture que nous en fait le bon La Fontaine, si sympathique aux opprimés,

Sous le faix du fagot aussi bien que des ans, (Paurome !)
Gémissant et courbé, marchait à pas pesants (Paurome !)
Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée. (Paurome !)

Quel plaisir a-t-il eu depuis qu’il est au monde ? (Paurome !)
En est-il un plus pauvre en la machine ronde ? (Paurome !)
Point de pain quelquefois et jamais de repos ; (Paurome !)
Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts, (Paurome !)
Le créancier et la corvée (Paurome ! Paurome !)
Lui font d’un malheureux la peinture achevée.

Toutes ces tristes pensées qu’il ruminait en silence, ne lui paraissaient-elles pas trouver un écho, un accompagnement dans le cri d’un reptile, tremblant et foulé comme lui, cri dont l’insistance importune devait aussi parfois lui sembler une ironie ? Et quand, pour le faire taire, il était obligé de passer une partie de la nuit à battre l’étang ou les fossés de l’habitation de son seigneur, n’avait-il pas encore, dans ce surcroît de misère, un motif de plus de trouver, pour l’ennemie de son repos, le vocable le plus expressif tiré du fond de son être ?[1]

  1. Paurome n’est pas le seul mot qui désigne une grenouille dans notre patois vosgien. On dit encore