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XLVIII
PRÉFACE

travail. Cependant il est un point sur lequel le Journal ne nous renseigne pas. A-t-elle jamais, au cours de son existence littéraire, rencontré les mois d’heureux oubli que la joie de créer procure aux artistes sincères ? Pour eux, il n’est pas de succès qui ne paraisse bien pâle auprès de l’anxiété joyeuse avec laquelle ils voient les êtres sortis de leur cerveau acquérir une vitalité plus ardente que celle des médiocres humains. Le génie méconnu n’est pas toujours à plaindre, car l’ivresse de créer a marqué pour lui l’heure du triomphe. À ne se fier qu’aux apparences, Marie n’aurait pas connu cette consolation ; mais lorsqu’il s’agit d’âmes compliquées comme la sienne, que signifient les apparences ?

Les Affranchis sont le chef-d’œuvre de Marie Lenéru, en même temps que son premier ouvrage dramatique. Elle y fait entrer tellement d’elle-même, qu’on peut le considérer comme un splendide épanouissement du Journal. Les scrupules de conscience qui tourmentaient la fillette au seuil du confessionnal revivent avec le personnage d’Hélène Schlumberger. Comme il est naturel, ces préoccupations morales iront en s’atténuant dans les pièces qu’elle écrira plus tard.

Les Affranchis furent envoyés en 1908 à Catulle Mendès, par la poste, sans formalités préalables. Il lut très rapidement et par une dépêche enthousiaste fit venir Marie. Madame Mendès, partageant l’admiration de son mari, présenta le manuscrit au concours de la Vie heu-