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JOURNAL DE MARIE LENÉRU

seuls témoins, la seule ancre dans le souvenir pour leurs bonnes petites vies qui s’offrent si naturellement. Merci encore pour les envois Cobden. Ah ! Dieu, les défendre à notre tour et qu’on ne continue plus aux siècles des siècles à les massacrer, les enfants, à qui la patrie n’avait rien donné, et qui m’écrivent « Je suis né gai ».

À Puech. — Votre lettre est venue hier soir, je veux y répondre aujourd’hui. Quelle lettre ! Je l’ai lue avec horreur et désespoir, et je l’ai fait lire, pour que vos lieutenants et vos camarades soient déjà un peu vengés par la douleur des femmes. C’est leurs cœurs concrets qui doivent subir et payer la douleur abstraite de la France. Le cœur des femmes après celui des frères d’armes ! Vous voilà tout consacré par le contact des martyrs. J’ai vu avec vous, mais j’ai vu plus beau que terrible. Ce massacre de la dépouille, si impressionnant, on nous l’a décrit et nous ne l’ignorons pas. Mais l’horreur rend plus passionné, il me semble, notre élan vers nos morts. Plus ils sont déchirés, plus nous le sommes aussi. Pas une plaie n’est perdue. Avec quelle piété affectueuse je ne cesse de penser à vos morts ! Un soldat debout, c’est encore, malgré l’émotion, toute la distance de l’homme à la femme ; mais tombé, tombé et massacré, il n’y a plus rien entre eux, c’est une relique à baiser, à porter dans ses bras. Pourquoi