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JOURNAL DE MARIE LENÉRU


17 avril.

Je viens d’être empoignée par un livre à ne pouvoir m’en détacher, chose inimaginable car je prends et je laisse les chefs-d’œuvre comme un éventail. C’est bien la peine de pouvoir juger au carat la valeur d’une œuvre pour ne se passionner que là où le talent est évidemment absent.

… Ce sont les lettres du lieutenant-colonel Moll à sa fiancée qui m’ont impressionnée, soulevée, enthousiasmée jusqu’à l’état intérieur du sanglot. Enfin voilà la vie, voilà l’amour et leurs vrais visages. Voilà l’homme tel qu’on doit l’aimer, duquel on peut recevoir l’amour, et non cette pauvre chose livresque et dramatique, « tiraillée », rabâchée dans nos romans, nos pièces et nos poèmes. Oh ! la maîtresse et l’amant parisiens… Y a-t-il un de nous, encore hors du jeu, qui soit tenté de recommencer les gestes et les simulacres ?

Mais cela… que c’est simple dans son emphase maladroite, et si peu risible. On est saisi par la vérité, le déblaiement du factice comme au chevet d’un mourant.

Voilà l’amour, besoin humain. Ce n’est pas l’amour-luxe, c’est l’amour nécessaire, indiscutable comme le pain des pauvres. Ah ! ce n’est pas celui de Cha-