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ANNÉE 1903

être lu, on tient peu à la médiocre attention des interlocuteurs, et l’habitude prise de s’exprimer parfaitement dégoûte des à peu près et donne la paresse d’ébaucher, en causant, ce qui sera mieux réussi plus tard.

C’est une faute. Il faut avoir son âme avec soi et pas sur une table à écrire, derrière la grande nappe verte que Louis XIV jetait sur son travail secret.

Je répète qu’on juge de l’intelligence avec les yeux, que l’intelligence se voit bien plus qu’elle ne s’entend. On ne dit pas toujours des choses transcendantes, mais être en état de les dire, cela se voit toujours.

Le baiser est un secret sans paroles.

À M. B… La grande faiblesse des amoraux et leur réfutation est dans leur prosélytisme. Dès qu’on se mêle d’apostolat, dans un sens ou dans l’autre, il faut prendre alors un point de vue social très différent de l’individuel. Je n’éprouve nullement le besoin que la majorité pense comme moi. Toutefois, comme j’estime peu le type révolutionnaire et ceux qui se font un mérite de leur indépendance, — comme si cela n’allait pas de soi — je trouve qu’il faut se garder de cette grande inutilité qu’est l’opposition déclarée, et de la grossièreté d’aller crier sur les toits ses sentiments intimes en voulant à toutes forces « agir comme on pense ». Encore un fameux préjugé !