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ANNÉE 1903

me laisser glisser dans un bonheur médiocre, mais pourrai-je m’en passer toujours ? Jamais rien, un obstacle, un écran entre la mort et soi… En me regardant dans une glace j’ai des surprises de trouver encore en moi une espérance de femme.

Et pourtant, je ne suis pas prête. Je veux encore attendre le bonheur. Il faut me préparer à la vie : dix ans de bonheur et je me préparerai à la mort.

Je suis venue, comme la Sybille, à une heure où j’avais les livres entiers de l’avenir dans mes bras. On m’en a refusé le prix, et trois furent jetés au feu. De ce qui restait j’ai demandé la même chose et, devant le refus, trois encore ont été brûlés. C’est des trois derniers livres que la Sybille reçut le prix qu’elle avait attendu de tous.


Grand Hôtel du Trez-Hir, 6 août 1903.

« Vous y viendrez quand vous aurez mon âge.» Ça c’est l’hypothèse, mais l’expérience est qu’à mon âge vous n’étiez pas moi.

À Marie B… Je crois qu’il ne faut pas tant en vouloir à la vie puisque c’est encore d’elle seule que nous empruntons cette idée du bonheur qui nous rend si difficiles. Voilà pour la question de droit que je trouve généralement négligée. Au fond, je suis de