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ANNÉE 1903


21 janvier.

Faire ce que je fais sans joie, sans élan, sans présence d’esprit ou en pensant à autre chose.

Si j’étais un peu plus bête, mon sujet m’empoignerait. Je ne connaîtrai jamais ces bonheurs-là. Quand je ne suis plus à ma table, pour rien au monde on ne me ferait penser à mon travail en cours. C’est une fuite instinctive et presque enfantine. Je cours après le succès, comme je chercherais mon mouchoir. Au fond, je ne suis pas une nature abstraite.

Ces gens qui sont très touchés quand on reconnaît ses torts et ceux qui font les beaux esprits s’inclinant à la discussion, ils ne sauront ni les uns ni les autres qu’on n’a jamais tort, car il y a toujours une raison pour laquelle on fait ce qu’on fait. Se dérober, par les concessions, est donc une manière très utile de classer un malentendu, mais en l’embrouillant cent fois plus, non seulement en sacrifiant toutes ses chances d’éclaircissement, mais aussi le droit d’autrui à n’être pas dupé. Dieu me préserve de l’insolence de qui me cède.

J’énonçais : J’aimerais mieux m’être trompée sur la fidélité de mon mari que sur ses facultés et sa valeur en soi. Fernande était merveilleusement de mon avis. Maman disait : Vous êtes dégoûtantes !