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ANNÉE 1901

Une réaction naturelle me rend, au contraire, plus aimable envers une corvée, caisses, rangements.

Je suis très convaincue de la superfluité luxueuse de ces « nécessités de l’ordre pratique », de la gratuité amusante de notre fantaisie d’exister.

Je ne puis m’empêcher d’avoir pitié de la vie et toujours, à toute seconde, je suis avec elle en émotion esthétique, et c’est pour les grossiers, qui font du tapage, que je réserve tous mes nerfs.

Or, je n’en suis pas là du tout par philosophie, je suis née ainsi, et demeure persuadée que tous les êtres gais « doués d’un heureux caractère », si dépourvus de tout alliage d’imbécillité, sont parfaitement des esthétiques sans le savoir, vivant sous un charme encore très méconnu.


28 août.

Chez nous, quelle maladresse à exister, quelle inaptitude à tout un monde de voluptés immédiates et passagères. Les bêtes, au contraire, sont admirables, un incroyable aguet de leur bien-être. L’ingéniosité d’un poulailler, par exemple, à tirer parti d’un rayon de soleil, ou celle d’un caniche à capter les traînes sur lesquelles on peut bien dormir. Quels épicuriens adroits et presque réfléchis !