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ANNÉE 1901

la mise en présence des points de repère si soigneusement relevés, épiés : l’entrée du goulet, la côte d’en face, les Tas-de-Pois, le raz de Sein. De combien est-ce que j’y vois mieux ? Y en a-t-il pour un an d’existence, pour un an de jeunesse ? Et dans les glaces, mes yeux ont-ils embelli, la taille, la transparence, la couleur, l’expression ? Assez gagné pour un an ? Aurai-je le temps d’être jolie ?… Je me voudrais jusqu’à soixante ans, je me voudrais jusqu’à la mort, pour réparer, pour compenser.


Vendredi 9 août.

Un silence. Je n’ai pas travaillé depuis trois mois. Mais les yeux me guérissent, et j’appartiens corps et âme à cette guérison. Guérie je serais tellement une autre… Oh ! les yeux ! Qu’on puisse quelque part être aveugle au monde…

Je reconnais la vie, celle de mon enfance. Je me retrouve où je me suis laissée :


« Quand je me résignais déjà,
         la croyant morte,
C’est mon âme d’enfant
        qui ressuscite en moi. »


Oui, c’est bien cela : pas seulement les choses,