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JOURNAL DE MARIE LENÉRU

maxillaire inférieur. Il faudrait la peindre nue, voilée de ses cheveux.

Pourquoi Carrière ne fait-il que nos têtes de mort ?


8 mai.

Quelquefois j’écoute. C’est un répit extraordinaire. Des souvenirs m’arrivent de très loin, qui m’aident à reconnaître l’étrangère que je suis devenue.

Il me semble que les choses, les moindres petites extériorités, sont plus moi que moi-même, c’est en me recueillant que je me perds. Étourdis que vous êtes, n’essayez pas de « rentrer en vous-même ». En dedans il n’y a rien. Je le sais pour y avoir été mise en pénitence à une heure où il n’y avait pas encore de souvenirs.

Et toujours ce sont les airs qui me rapatrient le mieux. A-t-on jamais remarqué que les airs sont au monde la seule chose humaine qui ne change pas… ? Un vieil air nous arrive de plus loin que les paroles qui l’accompagnent ; et pourtant la langue survit déjà à la race. Nous pouvons être sûrs que, quelque part au monde, s’entend le cri modulé du premier gosier qui chanta.

Apprendre : apprehendere, saisir au passage, s’accrocher, se cramponner.