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année 1899

avoir été longtemps retenue, mon chapeau et les gants à peine arrachés, je ne pourrais matériellement pas desserrer les dents avant une demi-heure, une heure de lecture sans lever les yeux, et, quelquefois, c’est dans des choses très ennuyeuses que je m’élance de cette manière. D’ailleurs cet élan-là ressemble beaucoup à une fuite.

Je dois rendre cette justice à la Providence que les insomnies me sont assez épargnées ; car un réveil la nuit est une chose qui dépasse les bornes. Dans le sommeil, je suis plus près de la santé. Au réveil, je réapprends ma condamnation avec stupeur. Mais je préfère mille fois toute la nostalgie du monde et avoir entendu. Cela restera tout ce que j’ai eu de bon. Tant mieux si c’est un souvenir d’enfance. La musique est la moitié de la conscience humaine.

Et je veux pourtant, je veux toujours. Ce mot est toute ma manière d’espérer ; « je veux », je m’en caresse, c’est un mot doux comme les pires entêtements, sourd comme les élans qui couvent. Il y a un V de volonté qui s’étire, qui s’allonge comme un tapis de solennité sur lequel on passe.

Ou bien, il est bref, muet, discret, l’ordre d’un maître. Je veux — rien qu’un son, une fente dans les lèvres parce que c’est un mot intérieur, parole qu’on ne doit pas entendre. Je veux — verbe réfléchi, le sujet opère sur lui-même.