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ABANDONNÉE

reille s’agenouilla près de celle qui l’avait soignée et aimée comme une mère en lui disant :

— Tu ne savais pas, tu n’es pas coupable. Ne pleure pas ainsi !

Juana la releva, puis, à genoux ;

— C’est moi qui dois m’humilier devant toi, ô Mireille ! C’est moi qui te demande pardon, et avec toute mon âme, de tout le mal arrivé par la faute de celui qui n’est plus ! Ah ! si je pouvais donner ma vie pour te rendre les chères mortes !… Mais non, cela n’est pas possible. Mon Dieu, je voudrais mourir !…

Et une crise de désespoir la rejeta, la figure entre les mains, sur le vieux tronc.

— Ce que vous dites là n’est pas d’une chrétienne ! prononça Paule sévèrement. Demandez à vivre, au contraire, pour racheter votre faute par la pénitence.

— C’est mon intention, sanglota-t-elle en se relevant. Je vais partir pour l’Espagne et me retirer dans un cloître où je soignerai les pauvres déshérités de ce monde. Mais je voulais auparavant revoir Mireille, je désirais recevoir son pardon.

— Tu n’en as pas besoin, Juana, puisque c’est Marcello qui a tout fait. Console-toi et viens vers mon père !

Elle eut encore un geste de recul.

— Non ! non ! fit-elle. Trop de mal lui est arrivé par nous, je ne veux pas me trouver en sa présence. J’aurais peur de sa malédiction sur un mort !

— On respecte toujours ceux qui ne sont plus, quelles qu’aient été leurs fautes, reprit Paule d’un ton adouci. Allons, pauvre créature, vous avez assez souffert, assez aimé pour être pardonnée !

Et la noble fille lui tendit la main.

La veuve la saisit respectueusement, et la portant à ses yeux mouillés de pleurs :

— Ah ! soyez encore une fois bénie, Mademoiselle, et que Dieu vous donne tout le bonheur que vous méritez si bien ! Adieu, Mireille, ajouta-t-elle, prie quelquefois pour la pauvre Juana, elle t’a bien aimée !…

L’enfant éclata en sanglots.

— Et moi aussi je t’aime ! s’écriait-elle au milieu de ses larmes. Ne pars pas !

— C’est impossible ! Je suis indigne de vivre parmi d’honnêtes gens. Puis ma présence raviverait trop de douloureux souvenirs.

— Je vous comprends et je vous approuve, dit Mlle de Montscorff. Avez-vous de l’argent ? questionna-t-elle tout bas.

— Merci, Mademoiselle, le produit de la vente de la roulotte et une somme qui me reste encore me suffiront amplement. Adieu, dites bien au père de Mireille tous mes regrets, tous mes remords !…

— Allez, pauvre infortunée, et que Dieu vous soutienne !

Juana baisa encore Mireille, puis elle la mit dans les bras de Paule en murmurant :

— C’est elle qui sera la mère, elle en est digne.

Et l’enfant, se sentant tendrement pressée sur ce cœur qu’elle savait tout à elle, vit partir la jeune femme, non sans regret, mais au moins sans désespoir.

Quand Juana eut disparu, Paule embrassa Mireille en lui disant :

— Tu prieras pour elle le jour de la première Communion, afin que Dieu lui accorde la paix de l’âme.

Et, tendrement enlacées, elles reprirent le chemin du château.


CHAPITRE VI

LES RÊVERIES DE PAULE


Lorsque le comte apprit par Mlle de Montscorff la scène navrante de la prairie, il s’écria :

— Pauvre femme ! je la plains. Quelle sera sa vie avec de telles ressouvenances !

— Elle a choisi la meilleure voie pour se résigner, répondit Paule, celle de la prière et du sacrifice. Au milieu de ces douleurs morales et physiques qui l’entoureront, elle oubliera les siennes et sera encore relativement heureuse puisqu’elle pourra faire le bien.

En parlant ainsi, la jeune femme était transfigurée : une vive flamme illuminait ses grands yeux.

Roger la regardait, ému ; il regrettait doublement de lui imposer aussi le sacrifice de cette enfant franchement adoptée, alors qu’on pouvait la croire la fille d’une saltimbanque. Son regard, attristé par ces pensées, attira celui de Paule, il s’y posa à peine une seconde, et se détourna, confus.

Qu’avait-elle donc lu dans ces grands yeux sombres pailletés d’or, qui lui rappelaient si intimement ceux de Mireille ?

— J’aurais bien voulu voir cette Juana, dit Mlle Irène, rompant ainsi le silence embarrassant qui régnait dans le petit salon des Magnolias où ils étaient réunis tous trois.

La jeune femme reprit assez d’empire sur elle-même pour répondre à sa sœur :

— Ce n’est pas une femme vulgaire. Physiquement, elle a dû être fort belle, puisqu’elle conserve encore de tels restes de beauté. De plus, son éducation n’a pas été négligée ; elle s’exprime bien, en termes choisis, qui dénotent un milieu tout autre que celui du monde des baraques. Enfin, elle a beaucoup de cœur ; elle l’a prouvé en venant de Bonn en Bretagne pour aider l’enfant, à retrouver sa famille. Et cette délicatesse de ne pas vouloir rester près de Mireille afin de ne pas raviver de cruels souvenirs !

— Je regrette aussi de n’avoir pas été mis en sa présence, dit M. de Peilrac. J’aurais voulu lui dire une parole de pitié avant son départ pour l’exil.

Mlle Irène lui tendit la main, et Paule eut pour lui le même regard indéfinissable.

— C’est agir en chrétien, comte ! dit la vieille demoiselle.

Il serra avec émotion les doigts si spontanément offerts.

— Je ne puis oublier qu’elle a aimé Mireille, dit-il ; sans cette affection et ces soins, quel aurait été son sort dans cette promiscuité révoltante ! Je pouvais la retrouver, mais gangrenée jusqu’au cœur. Et c’est un beau lis, à la pure blancheur, qui m’a été rendu.

Ses yeux allèrent encore, pleins de reconnaissance, de l’une à l’autre de ces femmes