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ABANDONNÉE

collaboré autrefois à des revues de voyages, ou qui traitent de questions humanitaires et scientifiques, je m’en occuperai encore ; on peut faire tant de bien par la plume !

— Vous aurez raison, Monsieur ! reprit la vieille demoiselle avec conviction. On ne saurait trop contre-balancer la mauvaise littérature ; elle opère tant de ravages dans les cœurs, elle !

— Puis les environs me paraissent charmants, même en cette saison, ajouta Roger, et j’ai l’intention de les parcourir soit à pied, soit à cheval ou en voiture.

— Vous ne faites pas de bicyclette ? demanda Paule en souriant.

— Non, Mademoiselle ; ce genre de sport ne me plaît nullement. J’en dirais autant de l’automobile dont je ne me sers jamais. Tout en reconnaissant l’utilité réelle de la bicyclette surtout, qui fournit un moyen de locomotion peu coûteux et très rapide, je lui préfère, et de beaucoup, le cheval. Or, comme je puis en user à toute heure, j’en profite.

— Je partage complètement cette manière de voir, reprit vivement la jeune femme. Je dirai même plus : l’automobile m’épouvante.

— Si l’on voulait ne pas en abuser, il y aurait moins d’accidents, conclut M. de Peilrac. Pourquoi ces vitesses de 100 kilomètres à l’heure ? C’est effrayant !

— Ah ! que tu as raison, papa ! s’écria Mireille. Et les chauffeurs sont si laids avec leurs vilaines lunettes et leurs grosses peaux. Il est bien plus agréable de monter à cheval ; moi aussi je le préfère.

L’air convaincu et entendu de la fillette les amusa.

Et pour lui plaire, ils sortirent dans le jardin, afin de la voir trotter par les avenues sur son joli poney.

Le soir, en s’asseyant, solitaire, devant l’âtre de sa chambre, où brûlait un grand feu de souches, le comte n’éprouva pas cette désespérance qui le laissait anéanti, écœuré de tout. Le joli sourire de Mireille errait autour de lui dans la vaste pièce.

Aussi, en regardant la ravissante miniature posée sur la cheminée qui lui montrait sa fille à l’âge de trois ans, dans cette robe de dentelle décolletée, où se voyaient les mignonnes fossettes de ses bras, et le signe noir placé sur l’épaule qu’il avait encore baisé le matin, il murmura :

— Ô douce fleur que Dieu a fait éclore à l’ombre de ma douleur, sois bénie !

CHAPITRE III

DETTES SACRÉES


Une après-midi, M. de Peilrac se fit conduire aux Magnolias pour y prendre sa fille qu’il voulait mener à Kerentrech. Le temps continuait à être merveilleux pour la saison, et il en profitait pour faire quelques excursions avec cette enfant qu’il aurait été si heureux de posséder toujours. Aujourd’hui, c’était d’un devoir qu’il s’agissait.

— Je vous la ramènerai ce soir, Mademoiselle, dit-il à Paule qui accompagnait Mireille jusqu’à la voiture. Nous serons sans doute revenus pour l’heure du dîner.

— Accepterez-vous d’être notre convive, comte ? demanda Mlle Irène.

— Vous savez bien que ma réponse sera toujours affirmative, n’est-ce pas, Mademoiselle ?

— Oui, fit-elle rieuse ; un joli aimant vous attire sous notre toit.

Et elle embrassait aussi Mireille que sa sœur venait de couvrir de baisers.

Le père l’enleva à son tour, et la porta, triomphant dans la voiture.

— Au revoir !… à bientôt !… criait-elle en agitant la main aussi longtemps qu’elle put voir la gracieuse silhouette de Paule sur le perron.

— Où allons-nous aujourd’hui, papa ? dit-elle en se rasseyant commodément sur les coussins moelleux.

— Nous allons payer ta dette, enfant.

Et comme Mireille ouvrait bien grandes ses belles prunelles sombres.

— N’as-tu pas été heureuse d’être secourue par Mme Kerlan ?

— Oh ! si, et je l’aimerai toujours, toujours ! Elle a été si bonne pour moi !

— Aujourd’hui que grâce à elle tu as retrouvé ton père, ne veux-tu pas lui prouver ta reconnaissance mieux que par des mots ?

— Comment ? demanda-t-elle, un peu interdite.

— En donnant à ses enfants un souvenir qui leur prouvera que tu n’oublieras jamais l’immense service rendu.

— Je le veux bien, papa !

Et son regard s’illumina.

— Eh bien ! à ton avis, que devons-nous porter à tes petits amis Marie et Louis ?

— Une grande poupée qui parle et un grand cheval à mécanique qui marche, fit-elle toute vibrante.

Roger sourit de la naïveté de la réponse.

— Tu crois que ces cadeaux seront suffisants, chérie ?

— Oui, oui, je t’assure ! Lorsque j’étais chez leur mère, ils n’avaient pas de plus grand désir. Et j’ai déjà pensé à leur offrir ces jouets, mais Je n’osais le dire à maman Paule.

— Ils les auront, leurs beaux joujoux, tu les placeras près de leurs petits sabots, le soir de Noël.

— Je ferai comme le petit Jésus, dit-elle en riant d’un rire perlé.

— Oui, mais j’y ajouterai autre chose.

— Quoi ? interrogea-t-elle, curieuse.

— Tu ne l’es jamais dit que tes gentils compagnons n’étaient pas très riches, et que nous pourrions leur donner une part de notre fortune ?

Elle devint pensive.

— Non ! répondit-elle en regardant, rêveuse, s’enfuir les grands ajoncs déjà revêtus de leur parure d’or sous ce ciel clément. Marie et Louis ne sont pas malheureux ; ils ont des parents qui les aiment ; ils habitent une maison petite, mais bien jolie quand même, et dans le jardin il y a tant de fleurs !

Le comte sourit encore. Cette absence d’orgueil et de contentement de soi-même lui prouvait une nature si exquise chez sa fille !