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ABANDONNÉE

connu ces détails, avec quel empressement nous vous aurions adressé le télégramme consolateur !

— Quelle consolation pour ma pauvre Marie !

— Cette nouvelle pouvait guérir Mme de Peilrac ! dit Paule.

— Non, hélas ! Mademoiselle. La mère de Mireille souffrait d’une maladie de cœur dont rien ne devait arrêter le développement. C’est à mon arrivée en France que le sous-préfet de Bayonne m’a communiqué un journal relatant et l’abandon de ma fille et sa présence chez Mme Kerlan dont je bénis aussi l’angélique bonté. Oh ! quel voyage ! Mais quelle joie dans ma douleur en te retrouvant, ma tant chérie !…

Et de nouveau il pressa Mireille sur sa poitrine palpitante. Elle lui rendait ses baisers, les bras enroulés à son cou, et redisait tout bas :

— Père !… Oh ! père !…

Cette scène mettait des larmes dans les yeux des trois femmes qui y assistaient en silence, n’osant interrompre ces effusions.

Soudain le comte s’écria :

— Tu vas me dire les noms de ces monstres qui t’ont volée à notre amour, ma bien-aimée ! Il faut qu’ils soient punis pour tout ce qu’ils nous ont fait souffrir !

À ces mots, l’enfant quitta le comte et vint se réfugier près de Paule, une épouvante en ses yeux démesurément ouverts.

— Je suis lasse, maman ! lui dit-elle, en appuyant sa joue enflammée contre la sienne. Je voudrais regagner ma chambre.

— Viens avec moi, chérie ! lui dit Alice.

La petite fille embrassa Paule et revint vers son père, qu’elle baisa aussi avec folie en lui disant :

— À bientôt !

Puis elle sortit avec la jeune receveuse.

— Vous voyez, Monsieur, dit alors la jeune femme ; il est impossible de parler à Mireille des personnes chez qui elle se trouvait avant son abandon. Une terreur folle, qui pourrait lui être nuisible, s’empare d’elle. Que craint-elle ? Il est bien difficile de le deviner.

— Je ne saurai donc jamais où elle a passé ces années d’épreuves et de désolation pour nous ! Elle avait trois ans environ lors de son enlèvement ; elle ne s’en souvient pas.

— Non, dit Mlle Irène, à cet âge les souvenirs sont trop confus. On pourrait peut-être essayer de les lui rappeler !

— Je serai toujours retenu par cette crainte de l’affoler. En revoyant les lieux de sa naissance, peut-être éprouvera-t-elle un choc qui lui fera soulever ce voile de ténèbres.

— Vous allez me l’enlever de suite ? interrogea Paule, les yeux agrandis.

Des larmes y perlaient, et elle voulait les empêcher de couler.

Le comte la regarda, si touchante dans cette peine qu’elle ne pouvait surmonter.

— Je n’ai plus qu’elle !… dit-il presque craintivement.

— Cela est très juste, Monsieur, fit Mlle Irène, comme sera naturel le chagrin que nous éprouverons de ce départ. Elle est si mignonne, si aimante, cette enfant !

Cette fois les pleurs jaillirent des longs yeux d’azur.

Roger les vit, et sa sensibilité rendue plus grande encore par les jours d’angoisse qu’il venait de traverser en fut émue.

— Fixez vous-même une époque, Mademoiselle, dit-il, et je m’inclinerai devant votre décision ; ma reconnaissance est tellement immense !…

Et ses mains se tendaient vers elle comme pour un hommage.

Paule en fut touchée.

— Je voudrais assister à la Communion de Mireille, répondit-elle.

Puis elle ajouta timidement :

— Elle n’aura lieu qu’au mois de mai.

— Nous attendrons ces six mois, car je ne crois pas que je puisse repartir sans ma fille : ma solitude serait si grande à Peilrac ! Pourriez-vous, Mesdemoiselles, m’indiquer une maison aux environs ?

— À Cléguer, je ne le suppose pas, dit Mlle Irène, mais à Pont-Scorff peut-être. En attendant, Montscorff vous est ouvert, Monsieur.

— Je vous remercie, Mademoiselle. Il m’aurait coûté de m’en éloigner en y laissant Mireille.

— Quelques kilomètres vous en sépareront, si nous trouvons à Pont-Scorff le logis désiré.

— Yvonne pourra nous renseigner de suite, fit Paule.

— Passons dans la salle à manger, alors. Vous voudrez bien prendre une tasse de thé, Monsieur de Peilrac ?

Le comte s’inclina.

Bientôt il s’asseyait près de sa fille, à la table du lunch, et son bonheur eût été complet si Marie avait pu le partager.

Yvonne, consultée au sujet de cette demeure, indiqua celle qu’ils avaient dû quitter à la mort de son père ; elle se trouvait à louer avec ses remises et son grand jardin.

— Je verrai cette maison demain, et dès que la location en sera, conclue, je m’entendrai avec un tapissier de Lorient pour la meubler. Seras-tu contente, Mireille, d’avoir ton papa près de toi ?

Ah ! que la voix du comte se faisait tendre pour parler à cette enfant enfin retrouvée !

— Oh ! père !… Maintenant je n’ai plus rien à souhaiter.

Et son regard allait de Paule à Roger.

Une tristesse voila les yeux de M. de Peilrac. Il ne pouvait, lui, s’unir à la pleine joie de sa fille ! Mais pouvait-il lui dire : « Ne parle pas ainsi, ta mère est morte ! » Elle ne se souvenait pas de cette Marie si belle, son jeune âge la sauvait des regrets.

Il se maîtrisa pour ne pas assombrir cette heure si douce malgré tout pour lui, qui le réunissait à Mireille dans cette salle où la plus cordiale sympathie l’accueillait.

Roger songeait aussi, en regardant le fin profil de Paule, à la peine déjà manifestée par la jeune femme, et qui serait bien grande lorsqu’il la séparerait de la fille de sa tendresse.

Les sœurs et les amies y pensaient également ; aussi la réunion se serait-elle ressentie de ce malaise sans Mireille, dont la félicité était sans bornes.

Elle babillait et riait, se penchant tendrement